Transévangélique ou manifeste pour un christianisme inclusif
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2019, la transidentité sort de l’anonymat grâce une médiatisation dont les intéressés ne sont pas à l’origine.
Transsexuels, transgenres, trans, nous n’avons pas de nom établi. Cette mise en lumière subite fait ressurgir des réactions extrêmement violentes sur les réseaux sociaux. Dégénérescence de la société, satanisme, tout y passe. Un fardeau bien lourd à porter pour une part infime de la population qui n’aspire pour sa majorité qu’à une vie paisible voire invisible. Parmi elle, on retrouve aussi des transgenres chrétiens.
Vous avez bien lu, des transgenres chrétiens. Mais comment est-ce possible, tant cela paraît antinomique ? Ce texte, fruit de mes réflexions d’homme transgenre et chrétien va tenter de répondre à cette question. En effet, la transition derrière moi, je ressens le besoin de témoigner à cœur ouvert, à défaut de visage découvert sur cette étape de ma vie et sur mon engagement sur les traces du Christ. J’espère que cela permettra, dans un contexte de crispation voire de radicalisation d’une partie de la société sur notamment les questions liées au genre, de démystifier ce qui a été pour moi une source de vie et aujourd’hui une force pour servir mon prochain dans la société et l’Église.
I- La transidentité : une démarche de vie pour une nouvelle naissance ….
a) une démarche individuelle
La transidentité repose avant tout sur une conviction intime. Celle de ne pas se reconnaître dans notre corps et le rôle social qu’il induit. En effet, autant, aussi loin que remonte ma mémoire, j’ai toujours eu la certitude d’appartenir au genre opposé. L’innocence et la spontanéité de l’enfance permet souvent une première affirmation de cette différence. Les conséquences varient selon les milieux et les familles. Mais d’une manière générale, il vaut toujours mieux être un « garçon manqué » qu’un garçon qui aime porter des robes et jouer à la poupée.
En outre, j’ai grandi avant l’avènement d’internet et des réseaux sociaux. Sans informations, aucune perspective si ce n’est de vivre avec ce fardeau et cette souffrance. J’ai fait de mon mieux pour tenir et faire semblant d’accepter ce corps dont je ne voulais pas. Jusqu’à ce que la tension devienne insupportable. La transition est alors devenue une nécessité impérieuse pour me sauver, échapper au désespoir, pour enfin vivre pleinement ma vie, en accord et en harmonie. D’aucuns nous opposeront que nous ne serons jamais des hommes et des femmes comme les autres, des constructions. Peut-être, mais peu importe car notre ambition peut se résumer à « va, vis et deviens ». Pour ce faire, nous entamons un processus de transformation lent.
b) qui s’apparente à une conversion….
Tout d’abord, la transition est à la fois sociale et physique dans un processus qui s’étend sur plusieurs mois. L’immersion est progressive grâce à un temps d’apprentissage et d’intégration progressive dans le genre d’accueil. Elle s’articule pour la majorité autour du triptyque psychiatre, endocrinologue et chirurgiens. La première étape, la plus courante et la plus controversée, celle du psychiatre, amène à une introspection. Pour certains, il ne délivrera que le précieux sésame permettant de commencer la mue, pour d’autres il assurera un accompagnement. De fait, la transition n’est pas toujours un long fleuve tranquille, alternant peur, appréhension et affirmation.
Ensuite, nous sommes pris en charge par des endocrinologues et des chirurgiens qui nous accompagnent à vie pour les premiers, ponctuellement pour les seconds. Sous l’effet des hormones et de la chirurgie notre corps se transforme progressivement pour nous faire découvrir un nouveau sentiment de bien-être et d’apaisement, de retour à l’équilibre. Pour les anciens comme moi, le processus se terminait par le changement d’identité, où le tribunal de grande instance, tel le Beth-din d’une conversion au judaïsme, entérinait légalement notre nouvelle identité. Le changement d’état civil peut également s’apparenter au baptême qui marque le début d’une vie renouvelée.
c)…..qui trouve sa place dans la société .
La transition fait parfois penser à Luc chapitre 14, verset26 dans sa radicalité.
«Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple» (Segond 21).
En effet, elle peut imposer une rupture complète avec son environnement personnel ou professionnel. On est parfois sommé de choisir entre soi ou sa famille, ses amis, ses collègues. Quelle qu’en soit l’issue, les relations en sont à jamais transformées. Par ailleurs, en raison des préjugés qui entourent les transitions notamment homme vers femme, elles peuvent entraîner la perte d’un statut économique et sociale.
Toutefois, lorsqu’on se réconcilie avec soi-même, il est plus aisé de se réconcilier avec les autres, d’aller vers eux. Avant la transition, je marchais le regard bas, les épaules légèrement voûtées. Aujourd’hui je fais face aux autres avec le buste droit. Cela m’a permis d’ouvrir bien des portes que je croyais fermées pour en faire profiter aussi bien les autres que moi-même.
La transition dans sa dimension physique peut être comparée à la circoncision du corps par ces cicatrices, symbole de l’alliance avec un nouveau genre extérieur. Elle est un premier pas vers celle du cœur. Aussi, elle donne aux personnes trans la sensibilité pour comprendre l’exigence de Jésus envers ses disciples.
II- Et un meilleur accueil du Christ dans sa vie
a) la rencontre manquante de l’Évangile ?
Les évangiles ne mentionnent pas de rencontres entre Jésus et quelqu’un qui ne rentrerait pas dans les normes de genre. Toutefois, il ressort des récits évangéliques que Jésus n’hésitait pas à rencontrer les réprouvés de sa société, les impurs pour les réhabiliter : les publicains (Marc 2/13-17), Marie-Madeleine (Luc 8/2) et enfin la Samaritaine (Jean 4/1-38) qui devient la première missionnaire du christ annonçant la Bonne Nouvelle à son village.
On constate que le Christ est allé au-delà des préjugés des gens et des lois de son époque, notamment en empêchant la mise à mort de la femme adultère. Imagine-t-on qu’il aurait pu être à l’écoute d’une personne trans ? Matthieu 15 21-28 donne une indication sur l’attitude de Jésus à l’égard de quelqu’un qui aurait dû rester à l’écart de la Bonne Nouvelle. En effet, il accepte de sauver la fille d’une cananéenne après avoir affirmé dans un premier temps qu’il n’a été missionné que pour les brebis perdues de la maison d’Israël.
Néanmoins, ce sujet délicat des limites du genre est abordé au travers des eunuques. Le Christ indique « qu’ils le sont dès dans le ventre de leur mère » ou qui « le sont devenus par la main de l’homme » (Mathieu 19/12). Ces deux citations résonnent doublement dans l’esprit des personnes transgenres tant elles peuvent correspondre à leurs parcours. Par ailleurs, les actes des apôtres (8/26-40) relatent la rencontre de Philippe avec un eunuque éthiopien, seul personnage qui n’est plus un homme physiquement intègre aux yeux de ses contemporains. Philippe lui affirme que rien ne s’oppose à son baptême alors qu’il lui aurait été impossible de se convertir au judaïsme.
Le message n’est-il dès lors pas d’accepter chaque croyant avec sa réalité corporelle? Les personnes transgenres ne font-elle pas partie intégrante du projet divin ? Une réponse est donnée par Isaïe (56/3-5) qui prophétise que Dieu honorera les eunuques : « et que l’eunuque ne dise pas: «Je ne suis qu’un arbre sec!» En effet, voici ce que dit l’Eternel: Si des eunuques respectent mes sabbats, choisissent de faire ce qui me plaît et restent attachés à mon alliance, je leur donnerai dans mon temple et à l’intérieur de mes murailles une place et un nom qui vaudront mieux, pour eux, que des fils et des filles. En effet, je leur donnerai un nom éternel qui ne disparaîtra jamais.»
La Bible est donc une invitation éternelle et universelle à la rencontre de Dieu et du Christ.
b) qui se produit aujourd’hui pour les personnes transgenres.
Dans mon cas, baptisé dans l’enfance, je pense, tel Pierre, l’avoir renié trois fois avant de le rencontrer à nouveau après avoir achevé ma transition. Être transgenre ne m’a pas empêché de faire l’expérience de la présence divine dans ma vie, de me sentir protégé tout au long du parcours.
Aujourd’hui, plus que jamais, je remets ma vie entre les mains du Christ pour qu’il puisse faire de moi un homme meilleur et l’instrument de sa volonté. J’ai aujourd’hui une vie chrétienne active dans laquelle je souhaite m’investir sans entraves. Cela n’est pas sans questionnements, notamment quand votre sensibilité vous fait vous rapprocher de courants qui ne sont pas encore prêts à connaître votre passé.
Par ailleurs, cette nouvelle naissance physique et christique à l’âge adulte amène à s’interroger sur le rituel du baptême et de son éventuel renouvellement à l’instar de certains courants évangéliques.
c) qui peut rejaillir dans l’Église d’aujourd’hui
L’expérience de la transition est une expérience humaine unique qui vous apprend autant sur vous même que pour les autres. Selon les appétences de chacun, ces enseignements pourront être mis au service des autres et, pourquoi pas, dans un cadre paroissial.
L’entraide est une valeur importante dans la transition notamment au travers des associations et de groupes dédiées sur les réseaux sociaux. Elle prend la forme de bases de données d’informations, d’échanges de photos, de solutions d’hébergements pour les convalescences notamment. Le parcours enseigne donc la solidarité.
Ensuite, le parcours chirurgical vous familiarise avec le milieu hospitalier. Les personnes trans peuvent se révéler plus sensibles aux souffrances et aux difficultés des malades. De même, cette expérience peut être partagée avec d’autres patients sans nécessairement évoquer le sujet de la transition.
Enfin à l’heure où certains groupes tendent à opposer les citoyens entre eux (origines, religions, sexes, genre), mon parcours m’amène à œuvrer pour la compréhension entre personnes trans et cisgenres. Par mon existence et ma façon d’être je milite à ma façon, discrète mais efficace pour l’intégration des personnes trans dans la société.
Conclusion
La Bible enseigne que le projet divin pour les hommes est de les amener à la liberté et au bonheur. Je ne crois pas y avoir dérogé car la transition m’a permis de me libérer de mes chaînes et d’atteindre un bonheur simple au quotidien.
À la lecture de la Bible, je suis aujourd’hui convaincu qu’une voie existe qui permette d’accueillir les personnes trans au sein des Églises. Le Seigneur nous révèle, au travers du prophète Isaïe, que même aux frontières du genre, on peut être dépositaire d’une promesse divine éternelle, d’une promesse personnelle.
Dans l’attente de l’accomplissement de cette promesse et de l’attribution d’un nouveau nom, je formule la prière que les personnes transgenres puissent trouver leur place dans les églises dans l’amour fraternel et être des membres à part entière du corps du Christ.