PRIVILEGE BEYOND BONDS – PRIVILÈGES AU-DELÀ DES INTERDITS

Cet article a été publié sur le site de Shiloh Project (Rape Culture, Religion end The Bible), par Johanna Stiebert et largement partagé sur Twitter. Deux pasteures : Pascale Renaud Grosbras et Anne-Cécile Baer Porter, ont demandé et reçu l’autorisation de le traduire. Deux personnes engagées dans l’Eglise : Joëlle Lepelletier et Daniel Steen, ont relu et amendé les traductions. Je rends grâce pour une telle mobilisation.
Ce lundi 22 juin 2020, la nouvelle de la condamnation de Jan Joosten pour le téléchargement de milliers de photos, de vidéos d’abus sexuels et de pornographie infantile, est tombée. J’ai commencé par lire article du Guardian à ce sujet. De nombreux compte-rendus ont été publiés dans d’autres journaux, comme le Daily Mail, le Times of Israël ou encore Euro Weekly. Les photos illustrant ces articles montrent la façade majestueuse du Christ Church College à Oxford, un Jan Joosten tout sourire, Joosten l’enseignant. Un universitaire blanc plutôt âgé, qui s’est parfaitement fondu dans le décor des diverses conférences d’études bibliques auxquelles il a participé durant de nombreuses années – Society of Biblical Literature (SBL), Society for Old Testament Study (SOTS), International Organization for the Study of the Old Testament (IOSOT)… Je l’y ai vu, je lui ai parlé, il m’a recommandé la lecture d’une de ses publications et m’a donné des pistes pour trouver des références.
Comme les articles de journaux le mentionnent, Joosten est un ancien pasteur qui a enseigné pendant vingt ans à l’Université de Strasbourg, avant d’être nommé en 2014 à la prestigieuse « Chaire Royale de professeur d’hébreu » à Oxford. Avant sa suspension, Joosten était rattaché à Christ Church, un lieu connu pour son excellence académique, ses tableaux de maître, et siège de la Cathédrale d’Oxford.
Jusqu’à récemment, Joosten était rédacteur en chef de Vetus Testamentum, que son sitedécrit comme un « journal de référence, largement reconnu comme indispensable pour l’étude approfondie de l’Ancien Testament ». Y sont publiés des articles en anglais, français et allemand, langues que Joosten parle couramment.
L’aura de la respectabilité, de son statut et de ses privilèges – « pasteur », « Professeur de la Chaire Royale d’hébreu (fondée en 1546 par Henri VIII) », « Christ Church College », « Princeton Theological Seminary », « Hebrew University Jerusalem », « père de quatre enfants », « marié », « un des universitaires bibliques les plus émérites de sa génération », décuple le choc et le scandale résultant des révélations concernant la condamnation de Joosten. La quantité invraisemblable de photos, vingt-sept mille, et vidéos, un millier, mettant en scène abus sexuels et viols sur mineurs, n’a fait qu’amplifier le sentiment de sidération. Parce que je suis Allemande, je pense immédiatement à la légende de Faust. Quel orgueil, quelle hypocrisie. Joosten pensait-il être au-dessus des lois ? Se croyait-il trop malin pour se faire attraper ?
Mais Joosten a été démasqué et sa réputation est ruinée. Cependant, sa condamnation semble dérisoire : un an de prison, inscription dans le registre des délinquants sexuels en France, obligation de suivre un traitement durant trois ans, et interdiction de toute activité en contact avec des mineurs. Et il n’est pas encore question d’incarcération : la peine sera « supervisée » et « peut-être même réformée ». The Guardian mentionne que « Joosten peut encore aller en appel vendredi » (a-t-il seulement le droit de décider de cela?) Sa famille « était consciente de ses actes » et a demandé avec insistance qu’il ne soit pas emprisonné, « parce que c’est sa première infraction » (alors que pas du tout : il s’est fait pincer pour la première fois, alors qu’il a commis des milliers d’infractions pendant six ans), qu’il présente « peu de risque de récidive » (pardon ?) et « avait cherché à se faire aider de son propre chef » (mais seulement après avoir été arrêté).
Lors de l’audience au tribunal, selon certains témoins, Joosten a déclaré être soulagé d’avoir été arrêté. Il a décrit son addiction comme un « jardin secret en contradiction avec moi-même ». Pour beaucoup, y compris les biblistes, cette manière de voir les choses est particulièrement dérangeante et répugnante. Elle évoque en effet des images du Cantique des Cantiques, teintées d’érotisme et d’amour charnel (par exemple « Tu es un jardin fermé, ma sœur, ma fiancée… » 4:12). Mais on parle ici de pédopornographie brutale ! Il n’y a pas de crime sans victime, et visionner ces images est un crime. La pédopornographie n’est pas une « réalité virtuelle ». Elle montre de la vraie souffrance, cause des traumatismes profonds et sévères. La rechercher aide à faciliter sa diffusion. Et dans certains cas, la consommation de pornographie violente peut amener à commettre des violences sexuelles.
Comme on pouvait s’y attendre, le grand public et la communauté universitaire à laquelle Joosten appartenait ont fait entendre leur colère et leur dégoût. Twitter est en effervescence. Les gens sont physiquement atteints, choqués et horrifiés. Un message trop laconique sur le site web de la SBL – requérant la démission de Joosten sans autre commentaire – a causé des protestations du fait de sa triste inadéquation entre la gravité des faits et l’absence de condamnation claire de son auteur, tout comme le communiqué de Christ Church selon lequel « Nos pensées sont avec chaque personne affectée par cette nouvelle », communiqué qui n’est pas sans rappeler les classiques « pensées et prières » qui suivent habituellement les fusillades dans les écoles aux USA – au lieu de faire quelque chose.
Une pétition a amené la SBL à rédiger une déclaration plus détaillée, envoyée à tous ses membres actuels et passés. La SOTS, peu de temps après, lui a embrayé le pas, avec un communiqué soulignant sa volonté de construire une « société plus inclusive et éthique », et exprimant sa préoccupation « pour les enfants anonymes, victimes ultimes de ce genre de crimes », en n’oubliant pas la famille de Joosten, ses collègues et étudiants. Un des co-auteurs de Joosten s’est dit « choqué, brisé et dégoûté », et a annoncé sa décision de verser tous les droits d’auteur passés et à venir de leur livre au Centre International pour Enfants Disparus et Exploités. Un autre universitaire a créé une page GoFundMe « Universitaires bibliques contre l’exploitation des enfants ». Un article assez marquant déplore « HIMpathy » en faveur de Joosten (un néologisme décrivant une sympathie excessive envers les auteurs de violence et d’agressions sexuelles), et beaucoup de voix se sont élevées pour dénoncer un système où la préservation de la réputation d’un homme est plus importante que la défense de l’intégrité physique des victimes de ce genre de sévices, en majorité des femmes et des enfants.
Quand j’ai appris la condamnation de Joosten, je me suis sentie physiquement éprouvée dans ma chair, choquée et horrifiée. Je n’aurais sans doute pas dû l’être. Malheureusement, je connais beaucoup de gens qui ont survécu à des abus sexuels ou à des viols commis lorsqu’ils étaient enfants. Les statistiques de l’Office National de Statistique ne me semblent pas exagérées. Et quand vous vous rendez compte du nombre de survivants, vous réalisez qu’il y a également beaucoup de prédateurs – leur nombre doit être équivalent. Même en tenant compte du fait que chaque prédateur peut potentiellement faire de multiples victimes, leur nombre reste très élevé. Il en va de même pour le crime de consommation de pédopornographie.
Le volume de photos et de vidéos d’enfants victimes d’agressions est faramineux – donc ce n’est pas vraiment surprenant de connaître des gens qui se révèlent être des prédateurs. Je sais également que malgré les stéréotypes et les mythes sur les violeurset les amateurs de pornographie (« le vilain monsieur dans son imperméable » comme on avait l’habitude de les décrire) – il n’existe pas de profil-type du prédateur pédophile. Aussi une personne dépravée peut-elle être une sommité d’Oxford. Ayant travaillé dans le milieu universitaire pendant plus de vingt ans, j’ai eu à ma connaissance deux cas où un membre de la communauté universitaire a été poursuivi pour pédopornographie.
Deux personnes que j’ai rencontrées dans ma communauté ont également été poursuivies pour possession de matériel pédopornographique. L’une d’elle s’est entre-temps suicidée. J’avais déjà été secouée, il y a quelques années, suite au verdict concernant Holt Parker, condamné à quatre ans de prison pour des faits quasi similaires à ceux de Joosten. J’admirais le travail de Holt, et je me suis longuement demandé si je pouvais continuer à citer des auteurs qui ont commis des actes révoltants ? Je suis toujours en plein dilemme à l’heure actuelle : bien que l’article de Stephen Young sur le sujet soit pertinent, je discerne aussi certaines difficultés très bien décrites par Sarah Scullin. Dois-je dès lors lire une biographie de chaque auteur avant de citer leur travail ?
Car le fait est que j’ai cité Joosten dans mes travaux antérieurs. Je l’ai rencontré en Afrique du Sud en 2011. Nous assistions tous deux à une réunion de la Société sud-africaine de l’Ancien Testament (OTSSA), mon premier voyage lointain depuis la naissance de mon plus jeune enfant. Je ne l’avais jamais rencontré auparavant, et j’étais surtout accaparée par mes retrouvailles avec des amis sud-africains. Lors d’un trajet en autocar, nous nous sommes retrouvés assis l’un à côté de l’autre et avons eu l’une de ces « conversations sur la recherche », celles que vous tenez souvent à ce genre de conférence. Il était amical mais très intimidant. C’est l’un de ces chercheurs qui peut vous restituer un texte en plusieurs langues et qui se souvient du titre et de l’année de publication d’articles sur tout sujet pouvant être abordé dans la discussion.
Je travaillais sur mon livre sur le thème des pères et filles dans la Bible hébraïque à ce moment-là, et j’en ai parlé à Joosten quand il m’a posé la question. Il m’a dit qu’il avait publié un article sur la nudité de la fille dans les lois du chapitre 18 du Lévitique, mais que c’était en français. Lisais-je le français ? J’admis que mon niveau de français était lamentable. Nous ne parlâmes plus de grand-chose d’autre, d’après mes souvenirs.
Peu de temps après mon retour à la maison, je reçus un email de Joosten (j’ai depuis lors relu ces courts échanges que nous avons eus en 2011 et 2013 à la lueur de sa condamnation, et c’est très incommodant à présent). Il disait que « Cela avait été sympathique de vous rencontrer à la conférence. En parcourant les dossiers de mon ordinateur, j’ai trouvé cette traduction anglaise de mon article sur la fille nue. Je la joins en attachement ». Je l’ai trouvée utile pour mes recherches. Dans le livre que j’ai publié par la suite, j’ai remercié Joosten car telle est la tradition.
Deux ans plus tard, je recevais un nouveau mail de sa part : « En faisant des recherches à propos d’autre chose sur internet, je suis tombé sur votre récent ouvrage sur les pères et les filles. Félicitations ! Et merci pour votre généreuse recension de mon article à propos de Lv 18 ». Symptomatique… En deux courts mails, deux mentions d’un ordinateur ou d’internet. Évidemment, je n’y ai pas attaché d’importance à l’époque, mais rétrospectivement je découvre le cynisme et le côté sinistre de la situation. Après 2013, je n’ai plus communiqué avec Joosten. Par contre, j’ai continué à citer ses travaux dans le livre que j’ai publié ensuite.
Lorsque j’ai lu les articles à son sujet dans les journaux, je me suis sentie très mal à l’aise et ce sentiment ne m’a pas quittée depuis. J’ai cherché et retrouvé les mails que nous avions échangés des années plus tôt, et je me suis finalement décidée à lui écrire à nouveau.
Je lui ai fait part du profond dégoût que je ressentais et exprimé mon malaise face aux nombreux hommes « respectables » dont j’avais serré la main sans imaginer ce dont ils étaient capables. Je lui ai parlé de ma révolte devant sa façon de se défausser en parlant de « jardin secret », qui rendait presque romantique voire érotique la maltraitance brutale commise sur des enfants terrifiés et totalement vulnérables. Je lui ai écrit que je n’arrivais pas à comprendre pourquoi, s’il admettait le mal qu’il avait commis, il n’envisageait pas d’effectuer volontairement une peine de prison : « Pourquoi ne pas la faire ? Je me demande vraiment ce que vous allez faire à présent ».
A ma très grande surprise, Joosten m’a répondu très rapidement. Il écrivait que mes paroles étaient dures à entendre, mais qu’il les avait méritées. Il ajoutait qu’il avait toujours été conscient que ses agissements causeraient de la souffrance à de vraies victimes, et que ceux-ci étaient « sordides et destructeurs ». Il disait qu’il était « tombé par hasard» sur des images et des vidéos pédopornographiques en cherchant du contenu pornographique, et qu’elles étaient facilement accessibles. Il décrivait la manière dont tout cela s’était transformé en addiction, dont il ne parvenait pas à se libérer, ajoutant par ailleurs qu’il ne cherchait aucune excuse à son comportement mais qu’il souhaitait guérir, à l’aide d’un psychiatre. Il parlait du soutien de sa famille, qui continuait à l’accepter malgré ses défauts (sic), défauts qu’il comparait à une « horrible tache sur un magnifique tableau ». En bon linguiste, il justifiait l’utilisation de l’expression « jardin secret » comme un « espace mental et émotionnel qu’on se refuse à partager », et précisait qu’il n’entendait pas par là quelque chose de positif, mais que c’était une description de la façon dont « le monde (virtuel) de ces images et vidéos, et le ‘vrai’ monde » dans lequel il vivait sa vie étaient « entièrement séparés ». Il finissait en disant qu’il exprimait de profonds remords pour ce qu’il avait fait, que rien ne pourrait l’effacer, et qu’il lui fallait maintenant envisager l’avenir. Ses derniers mots ont été : « J’espère qu’un jour vous arriverez à me pardonner ».
Ce message m’a profondément troublée, et je suis restée très étonnée de voir que Joosten avait manifestement toujours accès à un ordinateur et à son adresse mail à l’université. Son éloquence me choquait, mais aurait-il pu en être autrement ? Il est linguiste, il est érudit, et il a énormément écrit. J’étais déconcertée parce qu’il écrivait au sujet d’être « tombé par hasard » sur cette ignoble pédopornographie (mais est-ce vraiment si banal et facile d’accès comme il le dit?), et par la manière qu’il avait de parler de son addiction et du mal qu’il avait commis comme d’une « tache » qu’on pouvait « nettoyer », une maladie dont on pouvait guérir, comme une partie de lui-même dont il pourrait se débarrasser, le fameux « jardin secret » distinct de sa « vraie vie ». Il n’y a pourtant rien d’irréel ou de virtuel dans la violence intrinsèque à la pédopornographie : elle est exercée sur de vrais enfants dont le corps, le psychisme, la vie, le potentiel et l’avenir sont irrémédiablement souillés et compromis.
En lisant le mail de Joosten, je me suis souvenue de la correspondance que j’ai entretenue pendant de nombreuses années avec un prisonnier de la célèbre prison d’Angola, en Louisiane, aux Etats-Unis. Elle avait commencé par une lettre adressée au « Département biblique », méticuleusement écrite à la main, et qui avait atterri dans mon bureau à l’université du Tennessee. L’auteur, E., avait rencontré Jésus en prison où il était incarcéré à vie. Il avait appris l’hébreu tout seul et il avait des questions à propos de la grammaire et sur des points de traduction. J’ai apprécié de pouvoir trouver des moyens de lui expliquer des aspects de la langue hébraïque et d’exposer pourquoi certaines traductions s’éloignaient du texte originel en hébreu. Il avait soif d’apprendre. Des années ont passé et j’ai déménagé en Angleterre. Peu à peu, nous avons commencé à évoquer d’autres choses que les énigmes linguistiques qui nous avaient mis en contact à l’origine. E. passait des heures à l’atelier de la prison et il fabriqua pour ma fille une boîte en bois et des boucles d’oreille en métal où était gravé son nom en hébreu. Je lui parlais de mes enfants qui grandissaient, de l’équilibre à trouver entre travail et vie de famille, de mes voyages ; il écrivait sur son passé et, finalement, sur les crimes qui avaient amené à son incarcération. Se déroulait ainsi le récit d’une vie chaotique pleine de privations, d’épreuves et d’infractions mineures. Il y eut ensuite un acte violent exercé à son encontre par un représentant de la loi alors qu’il était en cellule pour une nuit pour possession de marijuana. E. est resté évasif sur ce qui s’était passé mais j’ai pu retrouver des articles de journaux qui disaient que ce shérif avait été reconnu coupable d’agression sexuelle sur les jeunes hommes qui lui étaient confiés en détention. Si c’est bien ce qui est arrivé à E., il n’a jamais pu se résoudre à m’en parler, choisissant plutôt d’évoquer les nombreuses petites amies qu’il avait eues dans sa jeunesse. Il n’a jamais utilisé cet épisode comme excuse pour justifier les crimes violents qu’il allait commettre ensuite. Ce qui me frappe, c’est qu’il a fait tout ce qu’il pouvait pour faire quelque chose de bien, même depuis la prison où il passait l’essentiel de son temps isolé en cellule ou en train de travailler, avec un seul livre de bibliothèque à lire par semaine. Il avait écrit à toutes ses victimes ; il était constamment soucieux de sa mère et de la souffrance qu’il lui avait infligée ; il écrivait à son fils, qui répondait rarement ; il travaillait dur pour apprendre l’hébreu ; il essayait avec constance de me convertir au christianisme, avec la certitude que s’il n’y parvenait pas je ne serais pas sauvée.
A l’inverse de E., Joosten a bénéficié d’énormes privilèges. C’est d’ailleurs toujours le cas. La vie doit lui sembler effrayante à présent, et son prestige et sa réputation ne s’en remettront jamais. Mais il est libre, il a le soutien de sa famille, il a accès à un psychiatre et même à un ordinateur et à son adresse email. Il a eu une éducation de premier ordre et il a un immense talent.
Je ressens la même colère que beaucoup de mes collègues sur Twitter et Facebook. La condamnation est justifiée ; l’indignation face à la légèreté de la condamnation aussi. Faire des dons aux associations qui viennent en aide à l’enfance en danger est une bonne chose. Mais ensuite ? La déclaration de la Society for Old Testament Study ouvre des pistes, et montre surtout le chemin qui reste à parcourir au sein de notre discipline. Un vernis de respectabilité et de légitimité a recouvert, depuis bien trop longtemps, l’ignominie. Ce que Scullin dit des disciplines classiques est vrai aussi des études exégétiques : elles ont une « histoire difficile de participation à diverses formes d’oppression » (qui continue, hélas, jusqu’à aujourd’hui). Tout comme les manifestations inspirées par le mouvement Black Lives Matter ont été l’occasion de bien belles déclarations et de beaucoup d’introspection, ce moment critique doit être mis à profit pour aller encore plus loin. Les écailles dans le vernis de respectabilité sont de plus en plus visibles depuis ces derniers jours et ces dernières semaines. En fait, il n’est pas surprenant que Joosten ait pu continuer aussi longtemps ses « agissements ». Sa respectabilité et le privilège qui est le sien ont en grande partie permis une telle impunité et, j’en suis persuadée, l’ont protégé d’une condamnation plus dure lorsque cette impunité a pris fin. E. n’aurait jamais eu une telle chance face au même tribunal.
C’est une chose – dans le cas de Joosten – de refuser dorénavant de lire ou de citer ses écrits, de lui faire quitter toutes les sociétés savantes dont il faisait partie et de soutenir ses étudiants. Mais ensuite ? Et si Joosten est condamné à une peine de prison qui reflète la gravité de l’infraction, cela suffirait-il ? Il finirait de toute façon par quitter la prison. Il n’est pas possible d’« enfermer tous les pédophiles et de jeter la clé ».
Ce que je vois en E. et que je ne vois pas en Joosten, c’est une tentative de réparation. J’espère qu’en se projetant vers l’avenir, il s’efforcera de mettre ses talents – sa maîtrise de nombreuses langues, ses compétences en matière de recherche et d’écriture, son expérience tirée de la thérapie – au service d’autres personnes qui souffrent d’addiction et au service des victimes de violence sexuelle et de trafic humain. Si je peux soutenir cela, je le ferai.
Quant au pardon qu’il espère recevoir de ma part, il ne m’appartient pas de le donner. Vladimir Jankelevitch écrit que « le pardon n’est pas fait pour les porcs ». La première étape en vue de recevoir le pardon, c’est de reconnaître entièrement le mal commis. Aujourd’hui même, Joosten doit choisir s’il va faire appel. J’espère qu’il prendra ses responsabilités, toutes ses responsabilités, et qu’il ne fera pas appel de sa condamnation. [Note des traductrices et traducteurs : Jan Joosten n’a pas fait appel.]