Nadia Bolz-Weber ou la Grâce à l’état brut!

Nadia Bolz-Weber ou la Grâce à l’état brut!


Rencontrer Nadia Bolz-Weber, c’est entreprendre un voyage, qui dé-place, dé-range et met les pendules à l’heure. Grande, musclée, entièrement tatouée, et au regard légèrement plissé – séquelle de la maladie auto-immune développée dans sa jeunesse – elle dégage une présence peu commune, qui explique le charisme de son ministère auprès des fêlé.e.s, des paumé.e.s, des gens « pas hipsters ».

On se rappelle alors qu’elle est une ancienne comédienne de stand-up comedy, devenue pasteure de l’ELCA (Evangelical Lutheran Church in America) en 2008, à Denver, dans une communauté qu’elle a créée, la House for all sinners and saints (HFASS), une paroisse diverse et inclusive. Malgré ses prises de position tranchées en faveur des personnes LGBTI, son look et sa personnalité, elle est aujourd’hui une figure importante du luthéranisme américain, régulièrement sollicitée par les grands médias américains (The Washington Post, CNN, NPR…). Elle a figuré sur la liste des bestsellers du New York Times avec ses deux livres Accidental saints, Finding God in the wrong people, et Pastrix : The Cranky, beautiful faith of a sinner and saint, dont une traduction en français est en cours.

 

Joan Charras-Sancho : Nadia, tu as été invitée en France par la paroisse Saint Guillaume dans le cadre du lancement de l’Antenne Inclusive, alors que tu es en tournée européenne. Est-ce que cela signifie que tu es devenue une prédicatrice « sans paroisse fixe » ?

 

Nadia Bolz-Weber : En fait, dans l’ELCA, mon Église, toutes les paroisses s’auto-financent. Ma grande chance, au début de HFASS, c’est que l’Église ait cru en moi et qu’elle ait payé mon salaire pendant cinq ans. Actuellement, avec mes livres et tout ce bordel, je fais des tournées de promotion comme pasteure théologienne. Pendant ce temps, c’est mon collègue, un pasteur épiscopalien, qui sert dans la paroisse et franchement c’est une chance énorme. Moi, là, je suis soutenue à 1000% par mon évêque qui croit dans le message, la théologie que je développe dans mes livres, ces histoires de mort, de résurrection, de mauvais choix, de conneries mais aussi, souvent, de miracles et de guérisons. C’est fou que mon évêque pense que ça fait partie de mon ministère. Perso, je suis un peu asociale et j’ai du mal à dormir ailleurs que dans mon lit, mais j’obéis à mon évêque. Et puis, soyons honnêtes, j’aime voyager, rencontrer des gens inspirants et gagner des sous, pour que ma communauté puisse continuer son travail génial.

 

Joan Charras-Sancho : Dans tes livres, tu donnes des exemples d’actions concrètes que vous aimez mettre en place auprès de certains groupes, comme d’aller offrir des repas aux gens qui bossent les jours fériés. Tu en aurais un à nous raconter, récent ?

 

Nadia Bolz-Weber : C’est un peu triste mais lors de la tragédie d’Orlando, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. Montrer aux personnes LGBTI qu’elles étaient aimées, qu’elles comptaient pour nous. Alors on a rédigé des bénédictions, on les a imprimées et on est allé les afficher dans tous les bars et discothèques de Denver. C’était fabuleux d’afficher publiquement notre amour. Et puis en tant que luthériens, on aime afficher nos convictions !

 

Joan Charras-Sancho : Tu es une pasteure luthérienne et pour toi c’est central. Comment est-ce que ça se traduit dans la vie de ta communauté ?

 

Nadia Bolz-Weber : La théologie luthérienne m’a donné des mots, des concepts, qui résonnent avec mon propre cheminement spirituel. Pour moi c’est plus honnête de partir du principe que c’est Dieu qui est à l’œuvre dans ma vie et pas moi. Je ne crois pas à ces merdes comme « être plus spirituel en sept leçons ». Ça ne donne pas la liberté de la même façon que lorsqu’on annonce une Grâce offerte et transformatrice. En donnant aux gens des directives de vie spirituelle, on les rends captifs et prompts à faire exactement l’inverse de ce qu’on espèrerait. Mais si on leur prêche la Grâce, ils découvrent la liberté d’être en Christ. Et ça les propulse souvent pour prendre d’eux-mêmes les bonnes décisions ! Par exemple, tout le monde est invité – sans exception aucune – à recevoir la communion à HFASS. Nous annonçons ce que nous croyons : que le pain et le vin sont le corps et le sang du Christ, mais parfois des gens qui ne le croient pas prennent la Cène, et sont touchés à ce moment-là et demandent le baptème ensuite. Je sais que c’est controversé, mais nous voyons Dieu à l’œuvre ! Le pilier de notre communauté, pour moi, c’est l’annonce de la Parole et les Sacrements. D’ailleurs, on célèbre la cène tous les dimanches, en cercle, on chante a capella, à quatre voix. Il y a des livrets liturgiques à disposition, que chacun.e peut prendre en arrivant, et se porter volontaire pour lire l’une ou l’autre rubrique. Parfois, les gens lisent mal ou font les choses de travers. Et tout est imparfait. Et c’est là qu’on réalise le mieux que le plus important ne se trouve pas dans la « perfection » du moment mais dans le fait de donner et de recevoir la Grâce incarnée, le corps et le sang du Christ. Cet amour si fou qu’il s’est incarné dans notre propre réalité matérielle, cette enveloppe qui nous fait tellement chier, qu’on voudrait constamment changer – qui ne veut pas perdre du poids ou enfin se mettre au yoga, ou avoir des cheveux plus brillants…? Eh bien Jésus est passé par là. Et c’est bouleversant.

 

Joan Charras-Sancho : Tu sais qu’en France il y a eu des mouvements sociaux et ecclésiaux contre le mariage civil des couples de même sexe. Mon Union d’Église, l’UEPAL, a préféré surseoir à une telle décision. Mais par ailleurs, des projets enthousiasmants sont créés, comme l’Antenne Inclusive à Saint Guillaume. Est-ce que tu aurais des conseils à nous donner pour avancer sur ce chemin d’inclusivité ?

 

Nadia Bolz-Weber (roule des yeux, se creuse les méninges) : En fait, je ne sais pas trop quoi répondre. La HFASS, c’est très différent d’une paroisse qui change d’orientation ou qui décide de se lancer dans un projet. Moi, ma communauté, je l’ai commencée dans mon salon et nous étions huit ! Dont quatre personnes queer ! Je dirais plutôt que nous étions nous, et que c’est comme ça que nous avons fait communauté. D’ailleurs je ne suis pas du tout dans le truc du « projet d’église », de la « vision du pasteur » ou je ne sais quelle recette un peu marketing. Nous cherchons à nous adapter aux gens qui viennent, les encourager à avoir des idées folles comme notre drag-queen qui a toujours des idées hallucinantes pour lever des fonds – comme des tshirts qui disent « tout ce bordel n’est pas gratuit – c’est la grâce qui est offerte mais donne ta dîme, putain ! ». Pour revenir à la question, ce que je peux dire, parce que je n’aime pas trop parler à la place des personnes concernées, c’est que de mon point de vue, les personnes LGBTI n’ont pas besoin de l’Église. C’est l’Église qui a besoin de ces personnes. Pour être vraiment corps du Christ, entièrement. Je suis désolée pour les Églises incomplètes, qui rejettent une partie du corps du Christ. (Silence peiné). Je peux encore dire une chose, et ça j’y tiens beaucoup : vous voulez être inclusifs ? Alors annoncez-le, mettez des affiches, faites-le savoir à tous les gens qui n’osent plus venir à l’église de peur d’être jetés. Mettez des trucs sur votre page Facebook, soyez visiblement inclusifs. Et dites-nous si on peut prier pour vous, à Denver, faire quelque chose pour que tous les membres du corps du Christ aient leur place. Parce que Jésus est venu exactement pour cela : pour que nous tous, les paumés, on soit invités au banquet. C’est la putain de bonne nouvelle à annoncer !

Nos remerciements vont au pasteur Christophe Kocher, à Joëlle Lepelletier, à Jean-Philippe Lepelletier et à Nadège Peter pour leur soutien, leur aide et leur expertise.

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