#metoo dans la Bible : prédication de Joan Charras-Sancho
« Ras le viol ! »
Ce slogan féministe résume bien le sentiment qui m’habite à chaque fois que je lis ce passage en 2 Samuel. Le décor est classique : une jeune femme est belle, un homme la désire et le désir de cet homme semble le dédouaner de tous les crans de sécurité qui existent pourtant. Cette notion de « cran de sécurité » m’a été soufflée par mon mari, cet adorable pasteur avec lequel je partage mes jours et mes nuits. Lors de la déferlante originelle #metoo, on débriefait comme tous les soirs notre journée et je lui ai exprimé mon étonnement face au déni et au refus de voir le problème de beaucoup d’hommes. Au lieu d’accueillir avec empathie et maturité ces témoignages de violences sexuelles, nombre d’entre eux criaient au complot, ricanaient et semblaient vouloir minimiser le problème.
« C’est normal Joan » m’a-t-il expliqué. « Nous, les garçons, depuis touts petits, on a un cran de sécurité. Si on pousse un peu, si on embête les filles, si on exagère, on nous dit « hé oh, faut se calmer, p’tit mec avec testostérone ». Et c’est tout. Souvent, même, on nous excuse en disant : « ah les garçons, c’est comme ça, ils ont besoin de montrer qu’ils sont forts. » Et ce cran de sécurité, qu’on l’utilise ou pas d’ailleurs, on en est quand même bénéficiaire. Sauf que là, tu vois Joan, #metoo, c’est une remise en question radicale de ce cran de sécurité. Et pour ceux qui en usent et en abusent, forcément, ça leur semble « injuste ». »
Voilà, j’étais mariée depuis 15 ans avec cet homme pacifique, non-violent, paternant mais jamais je n’avais pensé à lui demander pourquoi les hommes semblaient toujours si légitimes à nous faire chier. En fait, ils sont élevés avec un cran de sécurité qui les protège même lorsqu’ils ont tort. Et qui leur laisse largement le temps de mettre en place une stratégie pour contourner l’interdit.
Parce que dans cette histoire de Tamar, des interdits, des crans de sécurité, il y en a à la pelle ! D’abord, elle est la sœur d’un fils du roi (Absalom) – vous remarquerez au passage qu’elle n’est pas « la fille du roi », qui ne s’intéresse qu’à ses garçons -, ensuite elle est vierge et enfin celui qui la viole est un autre de ses frères (Amnon) ! Mais voilà : le désir de ce prédateur, aidé par les conseils criminels de son ami, et facilité par le déni de son père, David l’homme fatal, qui aligne lui-même les conquêtes rarement consenties, bref, ce désir n’a rien trouvé de cadrant ou de structurant sur son chemin pour l’arrêter.
« Quand une femme ne dit pas oui, c’est non. »
Visiblement, personne n’a jamais songé à enseigner ce slogan féministe à nos personnages bibliques. Que ce soit Haggar, la servante de Sarah transformée en utérus fécond ; Bethsabée qui ne faisait que prendre son bain rituel et que David est venu reluquer et toutes ces anonymes de la Bible, gagnées lors des guerres, achetées après viol, transmises de frère en frère…la liste est longue et affligeante. Et, paradoxalement, c’est ce que j’aime dans la Bible : rien n’est caché. Des scribes astucieux auraient pu masquer ces crimes abjects et faire passer nos patriarches pour ce qu’ils ne sont pas : des hommes justes et droits. Ma compréhension de la situation est à l’inverse : c’est en refusant le déni que les textes de la Bible nous obligent à comparer la situation d’alors et celle d’aujourd’hui. Le consentement et le désir réciproque sont-ils enseignés ? La parole des femmes au moment des rapports sexuels est-elle prise en compte ? Quels progrès avons-nous fait en 3500 ans ?
« Chaque homme que je rencontre veut me protéger. Je ne vois pas de quoi. »
Encore un slogan qui fait écho au texte du jour. La réaction du frère de Tamar, Absalom, est indignante (et indigne !) puisque dans un premier temps, il lui dit de se taire tandis que David est « très fâché » mais ne fait rien. Les deux rentrent en eux leur colère et exigent de Tamar le silence. Ce silence qui tue à petit feu. Ce silence dans lequel on se noie, on se perd. Comme on dit : un silence assourdissant. Et pourtant…l’honneur exige d’Absalom qu’il venge sa sœur, sa petite sœur chérie dont l’une de ses filles héritera du prénom. Absalom confond vengeance et justice. Il fomente un plan et enivre son frère Amnon pour le tuer. David, une fois de plus, exprime sa tristesse. Mais il finit par « oublier. » Tout est nommé dans cette histoire : l’injonction à se taire, la vengeance qui se mange froide, la tristesse qu’on enfouit et tout ce qu’on se force à oublier. Et, summum de la toxicité : l’honneur qu’on lave avec le sang.
« Nos jupes sont courtes mais pas nos idées. »
Ce slogan est celui que je préfère. Tamar, ma matriarche, celle que personne n’a su protéger, ne manquait pas de suite dans les idées puisqu’au moment où elle réalise que son frère veut la violer, elle lui offre une porte de sortie tout en se ménageant un répit : « Je te prie, parle au roi, il ne refusera pas de me donner à toi. » Que nos matriarches étaient intelligentes ! Entre Léa qui négocie une nuit d’amour en échange d’une fleur, Esther qui sauve son peuple en séduisant le roi, Anne qui pleure au Temple jusqu’à ce qu’elle obtienne un bébé et la sœur de Moïse qui organise sa survie d’une manière exemplaire…nous avons hérité de ces stratégies de survie, de ces ruses et d’une manière spécifique d’analyser le monde qui nous entoure pour nous glisser dans les rares brèches existant dans le plafond de verre.
« Lâchons nos casseroles, prenons la parole ».
Ce dernier slogan est une injonction et il vaut mieux se méfier des injonctions. Si la casserole est tout ce qui vous permet d’exister ou de vous défendre, cramponnez-vous à elle, au contraire. Mais si vous le pouvez, quand vous le pouvez, abandonnez tranquillement vos casseroles, ces rôles et ces assignations, ces stratégies et ces ruses dont nous avons hérité. Une des étapes pour cette transformation dans nos vies est peut-être le #metoo.
#metoo, j’ai hérité de casseroles. #metoo, j’ai subi le désir d’un homme. #metoo, je refuse les insultes sexistes, homophobes, racistes. #metoo, je cherche la justice et une communauté inclusive et aimante.
#metoo, je suis aimée inconditionnellement par le Dieu de mes matriarches, dont il a permis que leur témoignage vienne jusqu’à moi. #metoo, je ferai connaître le prénom des survivantes en les donnant à mes filles.
Que la rouah’, l’esprit saint féminin des Ecritures, nous inspire individuellement et collectivement, à suivre les pas du Christ et à être, dernier slogan « féministes tant qu’il le faudra ! »
A Dieu seul la gloire.