Léon-Arthur, je ne prierai plus pour toi ! Un témoignage d’une lectrice
Léon-Arthur, je ne prierai plus pour toi !
Un témoignage d’une lectrice
Dans les années 80, j’ai prié tous les dimanches pour sa santé….
Et puis ce fut Charles-Amarin. Re-belote tous les dimanches à le citer durant la prière d’intercession.
Moi, à l’époque, je n’avais jamais pensé dire à ces messieurs, qui ne m’avaient rien demandé, que deux prénoms accolés comme ça, en dépit du bon sens et comme une agression des oreilles, c’était un poil anormal.
Léon-Arthur, pour qui j’ai prié chaque dimanche matin dans une église catholique (forcément, il était l’évêque de Strasbourg) a tenu durant cette décennie des propos pour lesquels des associations homosexuelles, dont la bien-aimée Act-Up, l’ont poursuivi en justice. Les homos, en résumé, conduisaient la civilisation à sa perte (je résume, oui). À l’époque de ses bonnes paroles, je « démarrais » dans l’homosexualité, comme on commence un nouveau boulot. Compétences exigées : adaptabilité, aptitudes à la dissimulation, au mensonge.
Dégâts collatéraux : devenir quasi-parano, perdre confiance en quiconque, avoir deux tiroirs hermétiques à la place du cerveau, d’un côté la face montrable et de l’autre la face jugée dangereuse et pervertie.
Une période tendue pour une jeune lesbienne
Comme j’ai bien choisi ma période, j’ai démarré ce boulot en pleine hystérie des débuts du SIDA, qu’on appelait encore souvent « le cancer des homosexuels ». Étrange d’entendre ce mot quand on a 15 ans. On disait encore « populations à risques », mêlant prostitution, toxicomanie, rapports homosexuels.
On pense déjà à la mort, on découvre l’amour. On écoute Sid’amour à mortde Barbara, hommage tendre et sororal, mais reçu aussi comme un message effrayant.
Je vais mourir à 15 ans ?
Comment ça s’attrape ? Par un baiser ? dans l’eau de la piscine ?
Ils disent non, pas les filles entre elles, les garçons oui. Mais on n’en sait rien. Ce n’est pas l’ère des fake newsmais l’information était lente à passer. Les journaux papier, la télé, la radio, bref le Moyen-Âge.
Dans des bars lesbiens plus tard (au début des années 1990), on m’a distribué des flyers qui expliquaient comment se fabriquer, genre DIY, une magnifique digue dentaire, en découpant un préservatif dans sa longueur, pour le sexe oral. Le risque de contamination était hypothétique, mais comme dit hein, jamais trop prudent·e·s.
Ça parlait de « partenaires multiples », mais la femme que j’aimais…nous étions l’une pour l’autre la première expérience. Y avait-il un risque ? Le SIDA, c’était une bombe à retardement interne à nos cellules, qui se mettait à proliférer si nous pratiquions l’amour homo, et seulement dans ce cas ?
J’ai rapidement fini par me dire qu’autant mourir pour une belle raison, et que je n’allais pas me priver d’elle, pour une histoire de cancer ou de « punition divine ».
Les homos, rejeté·e·s par les Églises
Car Dieu aussi s’en est mêlé ou plutôt, on l’a fait se mêler de l’histoire, qui était déjà bien compliquée.
Les gens d’Église, ceux en robe (les hommes quoi, tiens), mais également ceux pas en robe et se croyant habilités à parler pour moi, ont manqué singulièrement d’esprit d’accueil et de fraternité.
Moi je ne faisais rien de mal, j’étais follement, éperdûment, entièrement amoureuse d’une seule femme, et j’ai passé mon adolescence à me cacher, à mentir, à dissimuler des courriers sous mes vêtements, à courir pour apercevoir sa voiture le matin, quand elle tournait à cet instant précis dans l’avenue Jean-Jaurès.
J’avais peur d’être suivie, surveillée, le lisait-on sur mon visage ?
Et pourquoi ai-je entendu « travelo » sur mon passage au lycée ? Je ne ressemblais à rien peut-être, même cette mamie dans ma paroisse m’avait demandé, en alsacien, à la fin d’une messe que j’avais animée au chant : « besch’ a Büeoder a Maïdel ? » Parce que la voix non plus, ça « n’allait pas ».
Les « copines » qui multipliaient les histoires avec les garçons me prenaient pour l’intello trop plongée dans ses déclinaisons de latin pour garder une petite place à la vraie vie.
Alors que la vraie vie, j’étais plongée dedans jusqu’au cou, voire plus, jusqu’à frôler la noyade, à avoir peur de mourir, ou avant… à être jetée en maison de redressement, et mon amie, un peu plus âgée que moi, en prison.
Jugée de toutes parts
Et me revenait l’histoire qu’elle m’avait racontée, comme un sombre présage, celle de Gabrielle Russier, cette professeure qui s’était donnée la mort après avoir été condamnée lourdement pour avoir eu une relation avec son élève de 17 ans. Autres temps, autres mœurs, maintenant avec le président Macron les choses semblent différentes…
Léon-Arthur voyait en moi la fossoyeuse de l’humanité, ma mère me traitait de « pécheresse » et je visualisais mentalement l’image de la femme adultère entourée de pierres vengeresses. Mais je ne faisais rien de mal.
Sur le sous-main de mon bureau, sur mes cahiers, j’écrivais partout, non pas Liberté, mais Aime et fais ce que tu veux. Ou encore Dieu est Amour. (Ok, j’écrivais aussi avec une certaines cruauté « Familles je vous hais » de Gide.)
Il fallait avoir le cœur bien accroché pour y croire.
Oui, un prêtre à l’écoute, encore jeune, m’a écoutée et accompagnée, pour que je ne devienne pas folle. Et pourtant, il ne m’a jamais demandé, jamais durant toutes ces années d’investissement dans la vie paroissiale, pourquoi je ne communiais jamais.
En fait, j’obéissais à ma mère qui me disait qu’il n’était pas question que je communie puisque je vivais dans le péché.
J’ai obéi à distance, même dans le temps, puisque je n’ai plus jamais communié, entre mes 15 et…. 48 ans.
Ils ne voulaient pas de moi, les gens en robe et les autres ? Je ne voulais pas d’eux.
Des situations de vie d’actualité, autant de sujets de prière
Travelo, pécheresse, SIDA, cancer…. C’était il y a longtemps, mais c’est encore d’actualité et j’en ai le cœur transpercé.
Donc aujourd’hui encore, des jeunes sont malmené·e·s, insulté·e·s, battu·e·s chez nous ?
Et ailleurs, on les torture ou on les jette du haut d’un immeuble pour les assassiner ?
Ou on veut leur infliger des pseudo « thérapies de conversion » ?
Est-ce qu’on ne pourrait pas plutôt prier pour ces personnes que pour les Léon-Arthur ou les Charles-Amarin ?
Prier pour que quelque chose change, je ne sais même pas quoi : quand on est insensible au vécu des autres, c’est pour longtemps je pense, quand on est méchant, on est enfermé dans son attitude toxique.
Prier pour que ces jeunes et moins jeunes croisent sur leur route une personne aimante, accueillante, qu’une main secourable se tende vers eux quand ils se penchent au-dessus du pont ; qu’il y ait du rire et des chansons dans leur vie, un amoureux, une amoureuse attentionnée et une vie qui se déroule sans trop d’accrocs, un peu, mais juste pour de faux.
Laurence Wicker, une lectrice du livre