« Jürgen Grauling, un pasteur-allié, rêve d’une Eglise vraiment inclusive…et agit en conséquence! »

« Jürgen Grauling, un pasteur-allié, rêve d’une Eglise vraiment inclusive…et agit en conséquence! »


Jürgen Grauling est un infatigable ouvrier du Royaume de Dieu. Marié à Cécile, père de trois enfants, il aurait pu se contenter d’être un bon pasteur de paroisse luthéro-réformée, et de continuer à faire grandir les paroisses qui lui sont confiées. Mais s’il y a bien une chose que Jürgen refuse, c’est la facilité, le prêt à penser, ce que d’autres appeleraient « la pensée du monde ». Alors Jürgen s’est joint au petit contingent de croyant.e.s inclusifs, et il l’a fait avec tout son coeur, en y mettant toute l’énergie que sa charge pastorale et paroissiale dense lui permet. Et même s’il est pudique à ce sujet, comme tout bon pasteur luthéro-réformé, il est certain que cette énergie, il la puise dans sa foi en Jésus-Christ…mais chut!

Discutons théologie et accueil inconditionnel à présent!

 

Accueil radical : Peux-tu nous dire quand et pourquoi tu t’es engagé comme allié de la cause inclusive ?

 

Jürgen Grauling : Lors de mon vicariat à Sarreguemines, les pasteurs de l’Inspection qui s’appelle aujourd’hui « Alsace Bossue-Moselle » étaient invités par les collègues allemands à une pastorale transfrontalière, à Sarrebruck, me semble-t-il. Je me souviens de réactions d’un autre âge de la part d’un nombre important de collègues, quand on nous a présenté un café d’accueil ecclésial pour personnes homosexuelles. C’était surtout le fait d’une grande ignorance et le refus de remettre en question des préjugés théologiques centenaires sur la question, je pense. Heureusement, mon maître de stage, Michel Guerrier, et celui qui allait devenir mon parrain d’ordination, Jehan Claude Hutchen, ont su me donner foi en la réflexion théologique du corps pastoral alsaco-mosellan, même s’ils faisaient partie d’une minorité…

Je me suis concrètement engagé, des années plus tard, lorsque toi, Joan, es venue me proposer la création d’un groupe de prières à l’intention de personnes LGBT. C’est donc il y a six ans environ que le Groupe inclusif de prière de Sélestat (GIPS) est né.

Ensuite sont venues, en 2012, la proposition de loi concernant le « mariage pour tous » et les réactions hostiles des religions, notamment celle de la Fédération Protestante de France. Mon sang n’a fait qu’un tour, lorsque je me suis aperçu que le souci pastoral des personnes concernées était quasiment absent et qu’on se barricadait derrière des réflexions sociologiques et de structure sociétale. A mon initiative, nous étions quatre à nous lancer dans l’aventure des 95 thèses pour l’accueil des minorités sexuelles au nom de l’Evangile, qui ont vraiment relancé le débat de la place des personnes LGBT au sein du protestantisme francophone.

 

Accueil radical : Lorsque tu t’es exposé, de façon visible, comment ton Eglise et ta paroisse ont-elles réagi ? Que dirais-tu aux collègues qui hésitent à se lancer ?

 

Jürgen Grauling : Les résistances étaient quasi immédiates. A peine le GIPS créé, le Conseil Presbytéral reçoit une lettre pour s’opposer à cette activité paroissiale, « contraire aux valeurs bibliques ». Du coup, le Conseil a préféré considérer et tolérer le GIPS comme une initiative privée du pasteur.

A plusieurs reprises, il y a eu des questionnements et des interrogations, notamment lors de la publication des 95 thèses ou du Manifeste pour un débat serein. Je m’y attendais et je prenais grand soin de préparer mes réponses que je n’hésitais pas à partager sur le net.

Pour l’Église, on sent bien que les quelques pasteurs « pro-LGBT » sont un « caillou dans la chaussure », car ils remuent des questions potentiellement explosives.

En même temps, je suis convaincu que nous ne ferons évoluer les mentalités qu’en prenant à bras-le-corps les enjeux théologiques et pastoraux, en les défendant intelligemment, malgré toutes sortes de résistances.

Les collègues qui hésitent ? Eh bien, vous faites bien. Prenez le temps de mûrir votre décision et d’étayer votre argumentation. Une fois lancée, armez-vous de beaucoup de bienveillance, de patience, voire de persévérance et de hargne. Ne perdez pas l’objectif de vue : il ne s’agit pas de vaines batailles d’idées, de discussion sur le sexe des anges, mais du bien-être – que dis-je ? – du salut de personnes bien concrètes, souvent invisibles car trop longtemps stigmatisées ou simplement ignorées. Ils ont besoin d’allié-e-s qui soient « pierres d’achoppement » pour envisager de l’être à leur tour, mais aussi pour leur offrir des « lieux sûrs » pour vivre leur foi.

 

Accueil Radical : Le 29 juin 2014, l’Assemblée de l’Union de l’UEPAL a décidé de reporter toute délibération concernant une éventuelle bénédiction des couples de même sexe. Bien qu’étant un fervent partisan de cette dernière, tu avais appelé à ce moratoire dans une tribune publiée en commun avec Stéphane Kakouridis, lui opposé au fait de bénir des couples homosexuels. Aujourd’hui, regrettes-tu cette tribune commune ?

 

Jürgen Grauling : Sans hésiter : non, je ne la regrette pas. Dans le contexte de 2014 dans l’UEPAL, le moratoire était la seule décision viable. Les tensions après quatre mois de débats intenses étaient trop vives pour pouvoir aboutir à un oui ou un non, de manière apaisée.

Voir la culture de controverse en œuvre dans une Union d’Eglises qui n’en a pas l’habitude, entendre les échos de débats acharnés mais respectueux à l’Assemblée de l’Union étaient pour moi une source de joie et de reconnaissance.

Surseoir à toute décision est en soi déjà une avancée. Elle signifie qu’on reconnaît la difficulté de trancher clairement une question, qu’on a besoin de l’approfondir et de la mûrir et que les arguments des deux côtés sont à considérer. Dans ma contribution à l’ouvrage « Accueil Radical », j’appelle cela « se mettre en décohérence », ce qui me paraît une étape provisoire mais souvent indispensable pour une Eglise qui souhaite se réformer continuellement, mais sereinement. Et d’une certaine manière, je crois que nous avons préparé le chemin pour l’Église Protestante Unie de France qui, onze mois plus tard, a pu franchir le pas qu’il nous était encore impossible de franchir.

Ensuite, des regrets, on peut toujours en avoir. Bien sûr que j’aurais aimé voir notre Eglise remplir le rôle de pionnière en France, en ce qui concerne l’inclusion des personnes LGBT. Bien sûr que le fait de faire attendre, encore, des couples de même sexe avant d’être pleinement accueillis dans nos paroisses me peine. Bien sûr que j’aurais préféré ne pas entendre des paroles homophobes dans le débat. Mais avec notre petite équipe de la page « UEPAL en débat » et du « Manifeste pour un débat serein », nous avons su, me semble-t-il, mener des échanges constructifs et les recadrer, quand il le fallait.

 

Accueil Radical : L’Assemblée de l’Union se saisira de nouveau de la question en été 2018, dans le cadre d’une réflexion plus large de la théologie conjugale et familiale. Nous sommes donc à mi-parcours entre moratoire et nouvelle décision. Où en sommes-nous avec le débat ?

 

Jürgen Grauling : Apparemment, rien n’a bougé ou presque depuis juin 2014. Les tables rondes et la soirées de débat sur la question de la bénédiction ont cessé dans l’UEPAL. On n’avance guère dans une réflexion concrète de lutte contre l’homophobie et d’accueil des personnes LGBT…

Cependant, la paroisse Saint-Guillaume a développé un programme ambitieux de conférences inclusives interreligieuses, la page facebook UEPAL en débat continue d’alimenter la réflexion, le Groupe Inclusif de Prières de Sélestat fait son bonhomme de chemin, « Accueil Radical » apporte des éléments de théologie exégétique, pratique et systématique. De plus, le fait que la reprise du thème en Assemblée de l’Union est d’ores et déjà programmée et inscrite dans le thème élargi de la pastorale conjugale et familiale me paraît être un signe très encourageant.

 

Accueil Radical : Et puis, il y a eu la décision de l’EPUdF de 2015 de permettre la bénédiction de couples homosexuels mariés…

 

Jürgen Grauling : Cette ouverture de notre Eglise sœur française aidera beaucoup à faire évoluer les esprits. D’autant plus qu’elle s’inscrit dans une tendance majoritaire au sein des Eglises luthéro-réformées européennes. L’Église d’État de Norvège a récemment fait les gros titres en adoptant le mariage religieux « pour tous ». Pourtant, en 2014, quelques semaines avant la tenue de notre Assemblée de l’Union, le synode norvégien avait désavoué ses évêques en refusant cette ouverture !

Fait moins remarqué, mais tout aussi significatif : quatre grandes Eglises protestantes fédérales allemandes, membres de l’EKD (Rhénanie, Hesse-Nassau, Berlin-Brandebourg et Bade) dont deux voisines directes de l’UEPAL, ont décidé d’instituer la bénédiction nuptiale pour couples homosexuels, au nez et à la barbe du législateur allemand qui, lui, refuse toujours de faire évoluer le partenariat enregistré de 2001 vers un mariage de plein droit.

Ajoutez à cela les Eglises des cantons de la Suisse alémanique, de Vaud, de Belgique, les Vaudois et Méthodistes d’Italie, l’Église presbytérienne d’Ecosse, les autres Eglises scandinaves, hollandaises ou allemandes ayant déjà institué des rites de bénédiction… Si, en 2014, les opposants à la bénédiction « pour tous » avaient objecté des problèmes œcuméniques, il faut désormais se rendre à l’évidence que si l’UEPAL persistait dans le statu quo en 2018, elle se retrouverait de plus en plus isolée au sein même de sa famille confessionnelle la plus proche !

Même le bloc évangélique commence à se fissurer : il existe, essentiellement aux Etats-Unis pour l’instant, des groupes mennonites inclusifs que notre ami, Jean Vilbas, saura citer…

La situation évolue très rapidement, de sorte qu’elle sera fondamentalement différente en 2018 comparée au contexte de 2014 où il était hasardeux de prévoir de tels bouleversements.

 

Accueil Radical : Quels sont tes espoirs pour l’Assemblée de l’Union de 2018 ?

 

Jürgen Grauling : Je vais être franc. J’attends que la bénédiction nuptiale des couples de même sexe soit acté et que l’ordination ne puisse plus être refusée à cause de la seule orientation sexuelle d’une personne. Pour les croyants LGBT, il ne faudra plus tergiverser afin de leur envoyer ce signal clair : en UEPAL, on ne considère plus l’orientation sexuelle comme un indicateur de péché. Toute personne homosexuelle ou trans-identitaire a pleinement sa place chez nous.

Pour cela, la « clause de conscience » accordée aux pasteurs opposées à faire des cérémonies de bénédiction doit être assortie de l’obligation d’offrir une solution de repli aux couples demandeurs, en les avisant à un-e collègue. A ce sujet, la décision de l’Église de Berlin-Brandebourg me paraît exemplaire, même si je ne souscris pas au principe de clause de conscience temporaire limité à cinq ans.

 

Accueil Radical : On risque de te répondre que cette résolution irait trop loin…

 

Jürgen Grauling : Les déclarations d’intention du genre « accueil inconditionnel », « refus de l’homophobie », c’est bien beau. Dans la pratique, nous constatons que nous n’avançons pas concrètement sur ces sujets, tant que plane sur l’homosexualité le soupçon de « l’abomination » et du péché !

Dans l’accueil que nous organisons au sein du Groupe de prières inclusif, nous nous rendons bien compte qu’il est grand temps de dépasser les questions de principe, afin de pouvoir nous atteler à l’accompagnement pastoral d’un vécu particulier intime nécessitant une relation de confiance : p. ex. les conseils à une personne en transition trans-genre, l’accompagnement de sa famille ou encore la cure d’âme auprès de personnes en instabilité amoureuse etc.

Comment interroger des choix de vie, parfois aussi de manière critique, s’il reste l’ombre d’un soupçon homo- ou transphobe ? En cela, la décision de l’EPUdF reste toujours ambivalente et n’apporte pas de solution définitive.

Donc, à la dernière question, je réponds : Non, une telle résolution n’irait pas trop loin. Au contraire, elle nous permettrait de faire enfin notre travail de pasteur et de nous poser les bonnes questions !

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