Intersexe et non-binaire : meet Ari !
Ari Chavah Adam Schärer est riche de plusieurs vies, qui lui permettent d’avoir un regard singulier sur celles des autres. Théologienne diplômée ; pasteur·e un temps, ille reste connecté·e à ses racines juives. En pleine transition conjugale, ille redécouvre la force de l’amour auprès de sa femme Elia Léa. Intersexe et non-binaire, ille accueille ses caractéristiques hormonales comme une occasion unique d’approfondir sa relation à Dieu. Et si après avoir lu son témoignage, vous en voulez encore plus, Ari tient un blog en français et en anglais !
Joan Charras-Sancho : Ari Chavah Adam, vos prénoms disent déjà beaucoup de vos origines ! Pouvez-vous nous expliquer leur signification ?
Ari Chavah Adam : Pour mon changement de prénom légal, j’ai choisi des prénoms hébraïques pour rendre honneur à mon héritage juif, à la fois ashkénaze et sépharade, qui est très important pour moi. Il y a des noms masculins et féminin, pour refléter mon identité non-binaire.
Ari signifie le lion en hébreu. C’est un animal que j’aime bien, en fait, c’est surtout la lionne que j’aime : elles chassent ensemble, donc elles coopèrent avec d’autres lionnes ; elles s’occupent de leurs petit·e·s et défendent leur famille avec leur vie. Dans la Bible, Dieu est aussi comparé à une lionne. Quand j’étais enfant, en Angleterre, j’ai lu tous les livres de Narnia et si je devais choisir une image pour Dieu, ce serait celle du lion Aslan.
Chavah, c’est Ève en hébreu. Maintenant l’image d’Ève, tel qu’elle m’a été dépeint dans les groupes chrétiens dont je faisais partie dans ma jeunesse, je ne l’aime guère (celle qui a amené le péché et la mort dans le monde, la pècheresse dont les femmes seraient les descendantes) ; mais la Chavah de la tradition juive, oui ! Chavah vient du mot chayah qui signifie « la vivante ». L’idée de la « Mère de tous les Vivant·e·s » n’exprime pas seulement l’idée de donner naissance physiquement, mais aussi de créer, de nourrir et d’améliorer toutes les facettes de la vie – du stade du potentiel jusqu’à sa pleine réalisation, par sa créativité. En cela, Chavah n’est pas seulement la Mère de tous les Vivant·e·s, mais représente aussi l’expérience de la vie, de la joie à la douleur, dans toute sa richesse.
Adam – bien sûr, on connait Adam comme prénom, et la Bible aussi. Mais en premier lieu, Adam signifie « être humain ». Dans le deuxième récit de la création, Chavah et Adam représentent moins le couple mythique du début, mais sont une représentation de l’expérience humaine, de la condition humaine. D’après les rabbins, le premier Adam, le premier être humain était imaginé comme une sorte d’androgyne, un être qui avait les caractéristiques des deux sexes ; c’est seulement plus tard qu’on parle de deux êtres distincts, femme et homme. D’abord, Dieu créa l’être humain, tout simplement. C’est ce que je veux être aussi, au-delà des questions de genre, d’orientation, de religion ou de race : juste un être humain qui tend sa main vers d’autres êtres humains.
- Comme beaucoup de nos contemporain·e·s, vous avez eu un parcours de foi d’une grande richesse. Qu’en retenez-vous ?
C’est une question qui m’a donné un peu de fil à retordre. Après les évènements récents dans ma vie, j’aurais voulu ne plus rien en retenir, mais ce n’est simplement pas possible pour moi. Il y a une citation d’Abraham Joshua Heschel, un de mes auteurs préférés, qui m’accompagne déjà depuis quelques années, et qui restera certainement avec moi pour le reste de ma vie. C’est devenu un peu mon « mot d’ordre spirituel » :
« Notre objectif devrait être de vivre notre vie avec un étonnement radical. … Levez-vous et regardez le monde d’une manière qui ne prend rien pour acquis. Tout est phénoménal ; tout est incroyable ; ne traitez jamais la vie de façon nonchalante. Être spirituel, c’est être émerveillé. »
La vie est belle et merveilleuse, et elle vaut la peine d’être vécue et croquée à pleines dents. Rien n’est jamais acquis, et la vie est plein de surprises – bonnes et moins bonnes – et de petits miracles. Si on ouvre les yeux, on les voit, même au milieu de la douleur. Dieu est là en plein milieu, tout-puissant non comme un empereur, mais dans son Amour qui ouvre grand les bras et accueille tous et toutes sans à priori et sans distinction. Et Dieu aussi nous surprend, nous étonne, nous émerveille : pour moi, ce n’est pas un Dieu apprivoisé, mais un Dieu sauvage – même dans sa douceur.
Pour moi, Dieu est non-binaire aussi. Iel est à la fois féminin et masculin, et au-delà de nos idées de genre, Dieu est tout pour tou·te·s, ce qu’il faut pour chacun d’entre nous, avec une patience infinie. Ce que je retiens aussi, c’est que je ne veux pas arrêter de chercher, car quand je la cherche, je le trouve ; je ne veux pas arrêter de douter et de mettre en question mes certitudes acquises non pas pour vivre dans l’insécurité, mais pour toujours rester ouvert aux visages multiples de Dieu, et à tous les virages que la foi peut prendre.
- Vous avez lu Accueil Radical au cours de votre cheminement : quels sont les passages qui vous ont inspiré·e?
Il y a d’abord le chapitre sur la théologie queer. C’est quelque chose dont on ne parlait bien sûr pas encore quand j’ai fait mes études – là, je n’ai même pas entendu parler de théologie féministe. J’ai découvert la théologie queer un certain temps avant mon coming-out public, et j’y ai retrouvé quelques-unes de mes propres façons de penser. Par contre, malheureusement, je n’en ai pas encore trouvé vraiment en français, et tous les auteurs que je lis sont en anglais. Je pense qu’il y aurait besoin, non seulement de traduire ces livres, mais aussi de développer nos propres théologies queer : gays, transgenre, non-binaire, intersexe… Il s’agit pour moi d’un côté de faire de la théologie qui est pertinente pour la communauté LGBTQIA+, d’apporter nos dons spécifiques qui enrichissent la théologie, et par le biais de la formulation d’une ou des théologies d’entrer en dialogue avec d’autres, aussi ceux qui pensent différemment. Je suis donc enchanté de trouver un chapitre sur ce sujet qui m’est cher !
Ensuite, le texte d’Yvan Bourquin sur le Dieu inclusif ou exclusif m’a également touché. Je suis très sensible à la question de l’image que nous nous faisons de Dieu : tellement de choses en dépendent ! J’ai passé beaucoup d’années dans des communautés chrétiennes avec des images d’un Dieu stricte et exclusif – ce qui résultait en fait dans le rejet d’une panoplie de personnes, à moins qu’elles ne se plient aux règles mises en place par le leadership. Alors que, comme Yvan Bourquin le décrit, là où Dieu est exclusif, c’est dans ce qu’il attend de nous : un attachement exclusif à lui par amour. Au contraire, une fois vaincue ma peur d’un Dieu punissant et de l’enfer qui avait été instillée en moi pendant de nombreuses années dans une communauté chrétienne fondamentaliste, j’ai vécu Dieu comme un Dieu inclusif, qui ne rejette personne – et en particulier aucun membre de la communauté LGBTQIA+.
Un troisième chapitre qui m’a beaucoup parlé est celui sur la liturgie inclusive. Déjà à l’université, la liturgique était un sujet que j’aimais beaucoup – l’importance des mots, des gestes et des symboles. Combien de chants aux paroles guerrières dans les cultes auxquels j’ai assisté ou prêché, pas facile de sensibiliser aux images et à la théologie que de tels chants et prières véhiculent ! Idem pour le langage utilisé pour Dieu : dans l’église dans laquelle j’étais employé, les termes utilisés d’habitude étaient « Père, Seigneur, Roi, Juge, Sauveur » – mais il y a tant d’autres images dans la Bible, y compris des images féminines ! Sans forcément directement parler de « Notre mère qui est aux cieux », j’ai commencé à écrire mes propres textes et prières pour essayer de contourner ce langage patriarcal et, soyons honnête, sexiste. Comme l’écrit Joan Charras Sancho, il y a une merveilleuse diversité d’images dans la Bible qui ne demandent qu’à être valorisées. C’est un thème qui me préoccupe déjà depuis mes études, ayant choisi le thème « Re-imaging the Divine » comme thème pour mon examen en théologie systématique.
- Après votre ministère pastoral, un autre avenir s’ouvre à vous : racontez-nous !
J’ai quelques idées en tête. J’ai mes études de théologie, une formation sur deux ans en relation d’aide (accompagnement spirituel et psychologique) et j’ai fait un CAS en résolution et accompagnement en cas de conflits. J’aimerais offrir de la relation d’aide et un accompagnement pro-LGBTQIA+ ainsi que des ateliers d’écriture et de photographie pour s’explorer, s’exprimer, apprendre à s’accepter, mais aussi spirituels. En même temps je réfléchis aussi à développer des cérémonies de transition ou pour des changements de nom pour des personnes transgenres. Fin janvier 2020 je commence une formation à Zurich pour devenir Make-up Artist Professionnelle/Visagiste, et je m’en réjouis beaucoup. J’aimerais bien sûr maquiller des personnes (je me promène souvent en ville en regardant les personnes, et je vois que chaque personne a sa beauté propre, bien à elle, unique et merveilleuse ; tout maquillage devrait consister à faire sortir ou à sublimer cette beauté qui est déjà là) et offrir des cours de maquillage. Et plus spécifiquement, offrir des cours de maquillage pour personnes transgenres et non-binaires (maquillage féminisant ou masculinisant, selon demande). Je pense que ces petites choses qui peuvent sembler superficielles peuvent avoir un grand impact sur le bien-être des personnes – et j’aimerais pouvoir être là pour toute la personne, intégralement : corps, âme, esprit.
S’il me reste encore du temps, j’aimerais continuer avec mes projets d’écriture de livres… Mais ça s’annonce serré !
- On dit souvent que l’Eglise est forcément inclusive, qu’il n’est pas nécessaire de le proclamer publiquement. Quel est votre vécu à ce sujet ?
En tant que modèle d’une nouvelle société fondée sur les valeurs du Royaume, on serait amené à penser que l’Église serait forcément inclusive et ne rejetterait personne, tout comme Jésus qui se trouve à sa tête.
C’est seulement récemment que j’ai pu faire l’expérience de deux églises inclusives où j’ai pu participer au culte tout en me sentant à l’aise en étant moi-même. Mais tout au long de ma vie, mon expérience des églises a été une autre.
En tant qu’ado, je vivais avec ma mère dans une communauté chrétienne de type pentecôtiste qui avait une approche plutôt littérale de la Bible. C’est à moment que je me suis rendu compte de mon attirance pour les filles.
Je ne sais plus exactement à quel moment j’ai entendu pour la première fois ces paroles, mais je les ai entendues de façon répétée et je les ai rapidement intégrées au plus profond de moi-même :
« Les homosexuels sont une abomination, les gays sont condamnés par Dieu, les gays sont haïs par Dieu, il n’y a pas de place pour les gays dans l’église ni dans le paradis, être homosexuel n’est pas naturel et c’est un aller-simple pour l’enfer… c’est un choix de vie détestable… les gays sont dangereux… si on essaie assez, et se soumet, on devient hétéro. »
Ces affirmations ont produit une immense honte et une peur terrible en moi !
Vous ne pouvez pas vous imaginer combien j’ai prié, prié, prié pour que Dieu me change ! Je ne voulais pas être lesbienne parce que je ne voulais pas que Dieu me déteste, que tout le monde me déteste, parce que je ne voulais pas brûler en enfer pour toute l’éternité ni vivre sans amour toute ma vie.
Mais Dieu ne m’a pas changé.
J’ai entendu parler de thérapie réparative, ou thérapie de conversion, d’organisations comme Exodus International et Desert Stream (qui ont donné naissance à Torrents de Vie par exemple) et ses techniques. Il faudrait peut-être plutôt parler de thérapie d’aversion… le principe est le suivant, chaque fois que l’on a des sentiments ou pensées gays donc impures, il faut les associer à quelque chose de dégoûtant ou qui fait mal – comme un réflexe de Pavlov inversé. Ou des chercher, par des sortes d’arbres généalogiques les péchés (des ancêtres) qui seraient à la base de mon homosexualité ; ou encore chercher les failles et blessures dans ma personnalité qu’il suffirait de réparer… Dans le milieu dans lequel je baignais, c’était quasiment obligatoire.
Mais ça n’a pas marché.
La seule chose que ce « traitement » a produit en moi c’est une profonde haine vis-à-vis de moi-même. Je ne pouvais plus m’accepter telle que j’étais, gay. À cause de ce qu’on m’avait enseigné, de ce que j’avais entendu, je me détestais — et cela a débouché sur deux tentatives de suicide. Je comprends aujourd’hui que la cause de ce mal-être profond qui m’a poussé à vouloir détruire ma vie, n’était pas le fait que je sois lesbienne, mais qu’il était le résultat de l’enseignement de haine et de rejet que j’avais intériorisé.
Je suis bien contente, reconnaissante, que ces thérapies de conversions sont maintenant dénoncées en France et en Allemagne, et qu’en Allemagne un projet de loi a été proposé qui vise à interdire ces thérapies qui s’attaquent aux personnes homosexuelles et transgenres. En Suisse, ces traitements sont malheureusement encore possibles.
C’est seulement bien plus tard, en tant qu’adulte que j’ai commencé à comprendre (et en faire l’expérience) que Dieu est différent : Dieu aime, accueille, accepte – sans mais et quand même, mais entièrement, tel que je suis, car Dieu m’a créée ainsi. M’accepter ainsi sans mauvaise conscience et sans peur était difficile, mais je l’ai appris avec le temps.
Quant à l’église dans laquelle j’étais employé, il en était autrement.
Très vite après mon coming out, j’ai perdu mon travail de pasteur. J’ai d’abord été libéré de toutes mes fonctions et ai été congédié peu de temps après. J’ai reçu des lettres et paroles anonymes et pas anonymes (qui me disaient que j’allais aller en enfer, que je suis une honte pour l’église et ses familles, que Dieu va me juger, qui me rappelaient le sort de Sodome et Gomorrhe, que j’étais sous la tutelle d’esprits contraires à la Parole de Dieu…) ; beaucoup de mes anciens paroissiens m’ignorent simplement désormais – mais j’ai aussi vu qui sont mes vrais amis, et ce sont des amitiés étonnantes, vraies et précieuses qui ne se seraient peut-être pas développés ainsi autrement – la qualité avant la quantité.
Ce qui m’attriste et me choque est le fait que certaines personnes parlent toujours encore positivement des thérapies de conversion, et de nombreuses églises et organisations les offrent encore ; des églises invitent des organisations tels que « Torrents de Vie » pour parler d’homosexualité chez eux. Après une longue absence sur le web, Torrents de Vie (le Living Waters/Wüstenstrom francophone) est de nouveau en ligne avec son nouveau site suisse, avec des « offres » de guérison pour personnes homosexuelles et transgenres. En parcourant le site, on ne se rend peut-être pas tout de suite compte, car le langage est bien choisi. Mais ces thérapies causent de nombreux dégâts, et nombre de personnes participent à ces « thérapies » uniquement parce qu’elles s’y sentent poussées et obligées par une certaine compréhension de la foi, et la condamnation à laquelle ils se voient exposés si elles prennent le risque de simplement être elles-mêmes, telles que Dieu les a créées – je peux en parler de ma propre expérience, exorcismes y compris.
Voilà ce qu’on trouve sur le site :
Ma sexualité, mes relations, mon identité à la lumière de l’Evangile : Chrétien en souffrance dans mon identité relationnelle ou sexuelle.
– Se réconcilier avec soi-même et son genre.
– l’homosexualité (personnes reconnaissant avoir des attirances homosexuelles non désirées et qui en souffrent). Vous souhaitez sortir de la honte et de la peur qui vous empêchent de vous approcher de Dieu.
Sur le site, Torrents de Vie ne mentionne nulle part ses liens avec Exodus et Living Waters, mais c’est en effet la branche francophone de Living Waters et « l’enfant » d’Exodus et fait bel et bien partie du mouvement ex-gay. Dans la partie bibliographie du site, on trouve un livre de Andrew Comiskey, fondateur de Desert Stream Ministries qui faisait partie d’Exodus avant sa dissolution. Il est toujours encore considéré comme l’un des leaders les plus éminents du mouvement ex-gay. On trouve aussi des livres de Leanne Payne qui est non seulement connue pour le mouvement de la guérison des souvenirs, mais est aussi une avocate pour la guérison de l’homosexualité, vue comme une névrose ; cette névrose pourrait être guérie, selon Payne, par la prière afin que les homosexuels puissent retrouver leur « véritable identité sexuelle ». Le tout a lieu à Neuchâtel en Suisse. Torrents de Vie ou de Mort ? A quand l’interdiction de telles pratiques, et les Églises qui en font la promotion ?!
Mais que signifie « accueil » pour une église ? Jusqu’où va-t-il ? Est-ce que moi et ma femme, nous pouvons venir au culte comme tout le monde ? Qu’en est-il des responsabilités, jusqu’au ministère de pasteur ? Après mon licenciement, on me disait que je pouvais continuer de venir aux cultes, mais pour certaines personnes se posait même la question si j’osais ouvrir la bouche lors des études bibliques. Et si un accueil inconditionnel est proclamé, qu’en est-il du langage utilisé lors du culte ? Si ce dernier fait que des groupes de personnes se sentent exclues ou non désirés, ou simplement mal à l’aise ? Autant de considérations pour rendre l’Église inclusive. Et je suis heureuse de savoir que contrairement à ce que j’ai vécu pendant une bonne partie de ma vie, il y a nombre d’églises qui sont accueillantes aujourd’hui. Certaines sont déjà très loin, d’autres sont en bonne voie, et encore d’autres commencent le débat.
Alors que je me réjouis pour les églises qui sont déjà pleinement inclusives, je tâche de voir celles qui ne le sont pas comme mes sœurs et frères encore en route, en espérant qu’on pourra un jour tou·te·s célébrer ensemble.