Discours malveillants à l’égard des personnes LGBTQ+ : comment les reconnaître ?

Introduction
Nous listons ici quelques formules stéréotypées qui permettent de repérer facilement un discours blessant et biaisé envers les personnes LGBTQ+. Ces exemples sont loin d’être exhaustifs et il est important de rester attentif·ves aux nouveaux outrages et pouvoirs malfaisants faussement attribués aux personnes LGBTQ+. Ceci pour deux raisons :
- L’homophobie et la transphobie sont des manières de se représenter le monde, encore largement partagées dans nos sociétés et dans nos Églises.
Ce type de discours s’adapte afin de passer sous les radars. Par le passé, ce sont des discours pseudo-médicaux puis pseudo-psychologiques, et enfin pseudo-théologiques qui ont réussi à se soustraire à un examen rigoureux, scientifique et pastoral. Demain, ces discours pourraient prendre d’autres formes.
L’important est de veiller à être et rester vigilant·es. Par expérience, nous savons fort bien que dès qu’il est question de traiter d’orientation sexuelle ou d’identité de genre en christianisme, il est nécessaire d’être particulièrement attentif·ves.
En effet, sans cette précaution, on arrive systématiquement et sans forcément le vouloir à mettre en jeu la dignité des personnes concernées – ce qui n’a pas lieu d’être. Dès qu’il sera question de débattre de sujets touchants à l’homosexusalité ou à la transidentité, la prudence est donc de mise. Discuterions-nous sans une telle précaution des droits des personnes handicapées ou des personnes Noires ?
- Tout comme le sexisme, l’homophobie et la transphobie sont amenés de manière bienveillante. Nombreux·ses sont celles et ceux qui partagent et diffusent des discours stéréotypés et malveillants sans savoir ce qui se cache derrière les mots.
Les personnes LGBTQ+ sont habituées et comprennent très vite les sous-entendus ; ce n’est pas toujours le cas des autres personnes. Aussi, des discours qui prétendent, en termes bienveillants, sauver les chrétien·nes LGBTQ+ ou sauver l’Église des chrétien·nes LGBTQ+ passent souvent inaperçus.
Ces discours se fondent sur l’axiome augustinien selon lequel il faudrait : “aimer le pécheur en détestant son péché”. Axiome qui porte un discours dogmatique sans doute fructueux, mais qui est aussi détourné contre certaines catégories de chrétien·nes en particulier. De même, la Bible est le trésor partagé des chrétien·nes. Toutefois, elle peut être utilisée contre des groupes de chrétien·nes en particulier.
Ainsi, nos valeurs les plus chères, comme l’amour du prochain et la primauté de la Bible, peuvent être utilisées pour faire écran entre notre vigilance et des propos destructeurs. Les questions à se poser dans cette circonstance sont donc : Quelle serait ma réaction si l’on écrivait cela de moi ? Voudrais-je d’un tel amour ? Est-ce cela, l’amour évangélique du prochain ?
Trois procédés rhétoriques courants
- Le déni d’humanité
- Déshumaniser les personnes concernées en les faisant passer pour des idées dont on pourrait débattre
ex : “idéologie LGBT”, “mouvement LGBT”, “lobby LGBT”, “la mode trans”, “la dictature trans”, “il faut protéger l’enfant”
- Déshumaniser les personnes concernées en les réduisant à une sexualité voire à des actes sexuels incontrôlés et malsains
ex : “tous les désirs ne sont pas bons, donc tant qu’à interdire certains désirs, interdisont ceux des LGBT”, “la Bible proscrit la sodomie, donc l’homosexualité en général”, “il faut bien mettre des limites, sinon on autorise aussi la nécrophilie ou à la zoophilie”, “la Pride c’est une démonstration sexuelle dans l’espace public”
- Délégitimer les personnes concernées en leur associant toutes sortes de déviances graves ou de maladies psychiatriques
ex : “ce sont les gays qui sont responsables de la pédocriminalité dans l’Eglise”, “on ne peut pas laisser des trans s’occuper d’enfants”, “les trans sont des psychopathes qui n’attendent que l’occasion de violer ou d’assassiner des femmes”, “les personnes homosexuelles sont bloquées à un stade de développement immature, dans lequel elles n’ont pas le désir de l’altérité”, “la pauvre, elle n’a pas une bonne relation avec son père/le pauvre, sa mère a été trop présente pour lui”
- Exclure d’office les personnes concernées en ne prenant pas en compte leur propre compréhension de leur propre expérience
ex : attribuer aux personnes concernées des désirs et des comportements dont on ne connaît rien (ex : “elles ne sont à l’église que pour militer”, “elles sont dans le rejet de Dieu”), comparer les personnes concernées aux personnes handicapées dépendantes ou aux enfants dépendants (ex : “bien que ce soit compliqué, nous pouvons essayer d’inclure des personnes handicapées en milieu valide, mais pas des personnes LGBT”), ne pas se renseigner auprès des personnes concernées avant de s’exprimer (ex : utiliser le terme ‘transsexuel’ alors qu’il est associé à la fétichisation sexuelle pour les personnes transgenres)
- Invisibiliser les personnes concernées en stigmatisant leurs désirs et efforts d’intégration dans la société et l’Eglise
ex : caricaturer le choix de sortir du secret et de la honte (ex : “je n’ai rien contre les homosexuels car ils ne sont pas militants, mais par contre les LGBT m’horrifient !”, “je n’ai rien contre les homosexuels, mais je ne veux pas les voir se tenir la main ou se marier !”, “je veux bien que des personnes soient homosexuelles, mais ce ne sont pas des couples, encore moins des familles, ce sont des duos !”), dans la même phrase, menacer les personnes concernées de subir de la violence et les accueillir dans l’Eglise (ex : “dans ma paroisse, nous sommes accueillants, mais nous ne le dirons pas publiquement et nous attendons de vous que vous restiez discrets – et si quelqu’un vous agresse ne comptez pas sur nous”)
NB : Il faut prendre en compte l’identité des personnes qui émettent ce genre de discours déshumanisants. Bien souvent, il s’agit de personnes hétérosexuelles et cisgenres (c’est à dire non trans) qui se pensent compétentes pour parler d’homosexualité et de transidentité, justement du fait qu’elles soient hétérosexuelles et cisgenres. La croyance en la supériorité morale et spirituelle de l’hétérosexualité est souvent à la base de ce genre de prises de position et de démonstrations publiques d’hostilité – ce qui est déjà en soi un poncif homophobe.
- Le pseudo-détournement de Dieu
- Tout usage de la Bible visant à faire passer les personnes concernées pour “moins humain·es que (…)” ou “moins désiré·e par Dieu que (…)” – ainsi que toutes les constructions théologiques parlant du premier puis du second choix de Dieu
ex : “il n’y a pas de couple homosexuel dans le mythe du jardin d’Eden, donc…”
- Tout usage de la théologie (notamment sotériologique) visant à terroriser les personnes concernées ou en questionnement ainsi que leurs proches
ex : “les personnes qui choisissent de pécher par l’homosexualité vont en enfer”, “l’homosexualité est la marque d’un péché grave dont il faut guérir si on ne veut pas aller en enfer”, “aller à la Pride ou être fier de ce qu’on est, c’est un péché d’orgueil”
- Tout discours, surtout de la part d’une personne dotée d’un rôle ecclésial quel qu’il soit, visant à convaincre que les personnes LGBTQ+ sont éloignées de Dieu (comprendre : plus éloignées de Dieu que les autres)
ex : “l’idéologie LGBT est par définition dans le rejet de l’altérité, dont aussi l’altérité de Dieu”, “les personnes LGBT se font un Dieu à leur image”, “les personnes trans se prennent pour Dieu”, “les personnes LGBT n’ont pas vraiment la foi”, “les personnes LGBT ne sont pas en communion avec l’Eglise”, “les personnes LGBT détestent l’Eglise/Dieu”
- Tout discours, surtout de la part d’une personne dotée d’un rôle ecclésial quel qu’il soit, visant à convaincre que les personnes LGBTQ+ ne sont pas aimées
ex : “abomination”, “imaginez la honte de leurs parents”, “Jésus pleure en vous voyant”, “vous êtes perdu·es pour Dieu”, “vous vous êtes coupé·es de Dieu – c’est un constat”
- Tout discours, surtout de la part d’une personne dotée d’un rôle ecclésial quel qu’il soit, appelant les personnes LGBTQ+ au ‘repentir’
ex : faire appel à des personnes témoignant de leur conversion spirituelle et sexuelle, dire “c’est possible d’apprendre à désirer les femmes/les hommes” en sous-entendant que si c’est possible, c’est nécessaire… Toutes les ‘thérapies de conversion’ ordinaires sont violentes. Par ailleurs, les thérapies de conversion, y compris ces discours publics, sont désormais interdites par la loi.
NB : Il faut prendre en compte l’aspect performatif de ce genre de déclarations. Les discours homophobes et transphobes que nous listons ici ont des effets réels. En persuadant les personnes qu’elles sont détestables pour Dieu, ces discours créent un désir légitime de se retirer de toute communauté de foi. En persuadant les proches que l’homosexualité est une déviance sexuelle grave, ces discours privent les personnes de leurs familles. Ce genre de discours agissent, comme de véritables malédictions.
- Les projections dramatiques
En combinant le déni d’humanité et le détournement de Dieu, il est facile de créer des scénarios catastrophe et d’en attribuer la responsabilité aux personnes LBGTQ+.
ex 1 : “autoriser les personnes LGBT à faire famille c’est signer la fin de la civilisation/de la société/du christianisme”
ex 2 : “confier des enfants à des ‘couples’ LGBT c’est accepter la fin de la transmission de la foi dans la famille”
ex 3 : “accueillir les personnes LGBT dans l’Eglise implique l’ostracisation de toutes relations oecuméniques” ou “l’inclusion des personnes LGBT met l’Église en crise de communion”, ou “c’est à cause des personnes LGBT que plus personne ne vient à l’église”
ex 4 : “accueillir les personnes LGBT dans l’Eglise implique de mettre une étiquette sur l’Evangile et d’en priver tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette étiquette”
ex 5 : “le mariage de pasteur·es homosexuel·les à l’église est un signe clair de la fin des temps”
ex 6 : “Dieu·e nous punit par cette pandémie/guerre/crise économique, parce que nous avons inclus des personnes LGBT en notre sein”
Conclusion
Cette liste est à compléter par les exemples dont vous avez déjà été témoins et dont vous serez encore témoins dans le futur.
Les LGBTIphobies sont encore choses courantes dans nos sociétés et nos Églises. En tant que membres de ces sociétés et de ces Églises, nous sommes tous et toutes pétries de stéréotypes et biaisées à l’encontre des personnes LGBTQ+. L’important est d’en avoir conscience et de savoir tirer les conséquences de ce constat.
Il peut arriver que vous-même, volontairement ou pas, consciemment ou pas, vous prononciez encore certains de poncifs destructeurs listés plus haut. Sans relativiser la gravité de ces paroles, nous voudrions prévenir toute culpabilité superflue, toute inquiétude excessive, toute peur du jugement. En effet, l’essentiel est d’apprendre, notamment auprès des personnes concernées, et de faire toujours un peu mieux.
Les membres de l’Antenne inclusive se tiennent notamment à disposition des pasteur·es confronté·es à des discussions ou à des situations de vie ayant trait à l’homosexualité ou à la transidentité.
Clémence Sauty