Des nouvelles inquiétantes de Pologne avec Paulina Dolatowska

Les nouvelles concernant les personnes LGBTI en Pologne sont extrêmement inquiétantes. Nous avons sollicité nos ami·e·s de David&Jonathan et du Forum Chrétien LGBTI et nous avons pu interroger Paulina Dolatowska, militante pour les droits LGBTI.
Joan Charras-Sancho : Paulina, pouvez-vous nous dire qui vous êtes ?
Paulina Dolatowska: j’ai 31 ans et je travaille comme rédactrice web pour une entreprise de marketing en ligne. Je suis une lesbienne chrétienne, en couple avec mon amie depuis plus de 5 ans, et nous sommes déjà fiancées. Je milite dans une association LGBT+, appelée Grupa Stonewall (le Groupe Stonewall) et dans une fondation chrétienne et LGBT+ qui s’appelle Wiara i Tęcza (Foi et arc-en-ciel). Notre fondation appartient au Forum Européen des groupes LGBT chrétiens. J’ai pu assister une fois à la rencontre annuelle de ce forum et c’était une expérience extraordinaire de pouvoir rencontrer des chrétiens LGBT venus de différents pays et de différentes dénominations ; je suis restée en contact avec certains participants jusqu’à ce jour. Je suis membre d’une Église minoritaire qui s’appelle Reformowany Kościół Katolicki w Polsce (Église catholique réformée de Pologne) qui s’engage en faveur des gens LGBT+, de l’égalité par rapport au mariage et de l’égalité entre les genres.
JCS : Les personnes LGBTI ne semblent pas en sécurité en Pologne maintenant : pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe ?
Paulina : Tout a commencé avec une camionnette qui propageait des mensonges à propos de la communauté LGBT+. Il existe en Pologne une organisation d’extrême-droite qui lui faisait parcourir tout le pays (il y en même peut-être plus d’une). Il disait par exemple que les gens LGBTQ voulaient enseigner à des enfants de 4 ans comment se masturber et à des enfants de 6 ans comment consentir à avoir des relations sexuelles. Un groupe anarchiste appelé Stop Bzdurom (Stop la merde) a alors décidé de s’en mêler à sa façon. Vous connaissez sans doute le genre d’actions auxquelles les anarchistes ont recours. L’un·e de ses membres, une personne transgenre non binaire du nom de Margot, a détruit le camion et s’est battu avec le conducteur. Ce groupe a également installé le drapeau arc-en-ciel sur plusieurs monuments de Varsovie, y compris celui de Jésus-Christ, ce qui a rendu furieux les gens d’extrême-droite. Stop Bzduroma ajouté un mot qui disait « La ville est à nous aussi ! Fuck you ! » – à mon avis ce n’était pas utile, mais les anarchistes sont toujours radicaux.
Margot a été condamnée à deux mois d’emprisonnement et la communauté LGBT+ de Varsovie a souhaité la protéger pour lui éviter cette peine. Ils se sont réunis devant le siège de l’ONG Kampania Przeciw Homofobii (Campagne contre l’homophobie) où la police devait se rendre et ont refusé de laisser les policiers entrer pour l’emmener. Margot a alors décidé de mettre fin à la scène et a accepté de se laisser arrêter. Mais à ce moment-là, la police ne souhaitait pas l’arrêter ! Ils ont attendu que la foule devienne furieuse et qu’une émeute éclate pour arrêter Margot ainsi que 48 autres personnes de la foule : c’était une arrestation ostentatoire voulue par le parti conservateur qui est à présent au pouvoir en Pologne.
Il paraît que les participants qui ont été arrêtés n’étaient pas les plus agressifs, mais juste des gens pris au hasard dans la foule. La police a fait usage de la violence, des gens ont été poussés par terre et saignaient. Les participants qui ont été arrêtés ont refusé de faire appel à des avocats, mais des députés de gauche sont venus au poste de police pour leur venir en aide. Il semble aussi que les policiers aient fouillé une fille et aient glissé leurs mains dans sa culotte…
Après cela, il y a eu beaucoup de manifestations partout en Pologne contre la brutalité de la police qui avait attendu qu’une émeute éclate lorsqu’ils avaient refusé d’arrêter Margot au moment où elle souhaitait être arrêtée paisiblement. Je suis d’accord que frapper le conducteur du camion n’était pas une bonne idée, mais la destruction du camion était justifiée parce qu’il était terriblement offensant. Toutes les autres personnes à part Margot ont été relâchés le lendemain mais elle a été emprisonnée pendant 2 mois, dans une prison pour hommes à cause de ses papiers qui la désignaient comme un homme.
La communauté LGBTQ s’est divisée, ainsi que ses allié·e·s, à propos de cette affaire, parce que certains disent que Margot a fait quelque chose de mal, qu’elle a enfreint la loi et qu’il est normal qu’elle ait été punie. Mais tout cela ne serait pas un problème si le camion avait été interdit dès le départ… Je suis d’accord que l’usage de la violence n’est pas une bonne méthode, mais je comprends aussi que quelqu’un ait été énervé par ce camion qui disait que les homosexuels sont tout simplement des pédophiles et qui pouvait rouler partout dans les villes polonaises : il n’est pas étonnant que la frustration se soit exprimée ainsi.
Cette affaire a connu un développement ces derniers jours : Margot a été libérée plus tôt que prévu ! Il semble que les manifestations et les pétitions de la part de la communauté LGBT+ et de leurs alliés aient eu un effet.
Pour d’autres informations sur le cas de Margot et les manifestations, voir ici et là :
JCS: Est-ce que les responsables religieux et les communautés de foi vous soutiennent et vous aident ? Comment pouvons-nous aider là où nous sommes, dans nos pays et nos Eglises ?
Paulina : Malheureusement, l’Église catholique polonaise (majoritaire en Pologne) ne soutient pas du tout la communauté LGBT+. Au contraire, elle vient de publier un document qui confirme son attitude homophobe. Pour plus d’informations, voir là.
Le plus choquant, c’est le fait qu’ils pensent qu’il puisse y avoir des « thérapies » psychologiques établies en coopération avec l’Église pour aider les gens à retrouver leur « sexualité naturelle ». Ils n’appellent pas ça comme ça directement, mais il semble évident qu’ils veulent « guérir » les gens LGBT+, en contradiction avec ce que dit la science.
Heureusement, j’ai trouvé ma place en dehors de cette Église homophobe et transphobe. Dans mon Église, comme je l’ai dit plus haut, les chrétiens LGBT+ peuvent trouver une aide spirituelle et un soutien. Cependant, notre Église est aussi en danger maintenant parce que le Ministre de la justice nous a récemment accusés d’être en contravention avec la constitution polonaise parce que nous permettons le mariage hétérosexuel comme homosexuel (seulement comme cérémonie religieuse cependant, sans effet légal). Nous avons reçu l’aide d’avocats qui souhaitent protéger la liberté religieuse, alors nous espérons que tout ira pour le mieux.
Pour nous aider, les gens d’autres pays peuvent diffuser ce qui se passe en Pologne, en informer les organisations internationales qui soutiennent les droits humains et aussi, si possible, soutenir nos organisations pour qu’elles aient suffisamment de fonds pour lutter contre l’homophobie et la transphobie. Les plus importantes sont : Kampania Przeciw Homofobii (Campagne contre l’homophobie), Miłość Nie Wyklucza (L’amour n’exclut pas), Lambda Warszawa (Lambda Varsovie), et celle à laquelle j’appartiens, Grupa Stonewall (Le groupe Stonewall). C’est aussi formidable que vous puissiez montrer votre soutien par des posts sur les réseaux sociaux, des manifestations, ou des messages envoyés à vos amis polonais si vous en avez, pour leur faire savoir que vous êtes là pour eux.
JCS : Quel pourrait être votre rêve dans un futur proche pour les personnes LGBTI à l’intérieur et à l’extérieur des Eglises ?
Paulina : Mon rêve pour la communauté LGBT+ en Pologne, c’est l’accès aux mêmes droits que les autres (y compris pour le mariage et l’adoption), un élargissement de la notion de crime de haine dans la législation polonaise avec l’inclusion des notions d’identité de genre et d’orientation sexuelle (pour l’instant, elle n’inclut que les questions raciales, ethniques et religieuses), et le soutien plein et entier de toutes les dénominations chrétiennes. Peut-être que, pour l’instant, le soutien de l’Église catholique romaine semble très improbable, mais ce serait déjà beaucoup si elle ne répandait pas des informations fausses et pleines de haine envers notre communauté. Je rêve aussi du jour où la religion des gens, mais aussi leur race, leur orientation sexuelle ou leur identité de genre ne changera rien. Ce serait comme la couleur des cheveux, ou des yeux : on peut voir la différence, mais elle n’a pas de signification quant à ce qui compte vraiment. Et puis, on peut ne pas apprécier une certaine couleur, mais en général, personne n’est malmené ou privé de droits égaux à cause de ça.
Récemment, ma fiancée et moi avons suspendu un drapeau arc-en-ciel à notre balcon, en solidarité avec Margot et tous ceux qui avaient été blessés dans les émeutes (c’était une initiative sur Facebook). Après cela, nous avons retrouvé des autocollants homophobes sur la porte de notre appartement. Deux fois ! Je l’ai dit à la police et ils ont dit qu’ils étaient en train d’enquêter. Alors je rêve aussi d’un pays où les gens puissent librement exprimer leur point de vue (sauf si c’est offensant ou si ça fait du mal à quelqu’un) sans être en butte à la haine, sans qu’on se moque de nous ou qu’on nous agresse, comme ça arrive parfois (même dans ma ville qui est pourtant plutôt libérale en général).
Biographie
Paulina Dolatowska – Femme polonaise vivant à Poznań, élevée dans un petit village du centre de la Pologne. Philologue de la langue anglaise, je travaille pour une entreprise de marketing en ligne comme rédactrice web. Je suis lesbienne, impliquée dans l’activisme LGBT+ depuis déjà 12 ans ; aujourd’hui pour le Groupe Stonewall et pour la Fondation foi et arc-en-ciel. Je suis chrétienne, de l’Église vieille-catholique, et je fais partie de l’Église catholique réformée de Pologne. Passions : jeux vidéo, cinéma, littérature, bande dessinée, dance Bollywood, chant. Animaux : trois chats et un lapin.