Christophe Kocher, une inclusivité audacieuse!
Pasteur résolument luthérien de l’UEPAL, Christophe Kocher aime les projets audacieux. Il a une vision pour sa paroisse : celle d’être un lieu de rencontre et de partage où l’on ose parler de tout, sans tabous ni contrefaçons. Fidèle soutien de l’Accueil Radical dès le début, il s’est formé progressivement et il revendique maintenant, avec fierté, le fait d’être un pasteur inclusif !
Joan Charras-Sancho : Christophe, tu es surtout connu pour ton ministère actuel à la paroisse luthérienne Saint-Guillaume. Peux-tu nous raconter un peu ton parcours de foi, tes postes précédents et ta formation ?
Christophe Kocher : Mon enfance et mon adolescence ont été marquées par le pasteur de Gundershoffen où j’ai grandi, Jacques Breisach. Malgré un 2/20 au bac philo (heureusement que je passais un bac scientifique !), je me suis inscrit en théologie. J’ai fait mes études à Strasbourg et à Genève, toujours en parallèle avec le Conservatoire de musique, en classe d’orgue.
Avec du recul, je me dis que les deux années passées à Genève étaient décisives pour la suite. C’est en effet en quittant mon cocon natal pour m’installer dans une ville cosmopolite et dans un foyer où il y avait pratiquement autant de nationalités que d’étudiant·e·s que mon esprit d’alsacien d’Alsace du Nord s’est ouvert, que j’ai découvert qu’on pouvait vivre autrement, avec d’autres cadres, références et valeurs que les miennes ; une expérience d’ouverture extraordinaire !
De retour à Strasbourg, j’ai été nommé vicaire à Saint-Pierre-le-Jeune auprès du pasteur Ernest Muller. Une année exigeante, dure à certains égards… mais j’y ai tant appris, et me dis aujourd’hui avec reconnaissance que si la barre avait été placée très haute, j’ai énormément reçu cette année-là et j’ai été préparé pour relever les défis ultérieurs.
A l’issue du vicariat, j’ai été nommé en Alsace Bossue, à Durstel, Adamswiller, Asswiller, Bettwiller, pour les années probatoires. Je n’y suis resté que deux ans. Pour des raisons familiales, je suis reparti en Suisse où j’ai été élu pasteur de la Collégiale de Neuchâtel… À 27 ans : mon ministère commençait pratiquement dans un « poste de fin de carrière » où j’étais le plus jeune pasteur nommé depuis la Réforme.
Je garde un lumineux souvenir de cette période, tant sur le plan professionnel, passionnant à tous égards, que sur le plan personnel, avec la naissance de mes trois enfants.
A côté de mon ministère pastoral à Neuchâtel, je préparais un Master of Business Administration (MBA) à l’école supérieure de commerce de Montpellier : une formation sur 3 ans, avec des sessions de cours intensives toutes les six semaines. Tous mes congés y sont passés pendant ces années… mais il me semblait important en tant que pasteur d’avoir une deuxième formation, d’autant plus après des échanges que j’avais eus avec un confrère qui était à bout, qui n’y croyait plus, mais qui disait ne rien savoir faire d’autre que d’être pasteur…
Quelque temps après avoir obtenu le MBA, la direction de l’Église neuchâteloise confrontée à d’importants problèmes financiers demandait aux pasteurs qui peuvent se le permettre de quitter. J’ai alors fait des démarches pour valoriser ce diplôme et ai été embauché par une entreprise de consulting à Genève : un autre monde, une autre activité, une autre vie…
Lorsque j’ai appris que le poste de directeur de la communication de l’Église réformée du canton de Vaud était à pourvoir, j’ai postulé et ma candidature a été retenue. J’ai donc structuré puis dirigé le nouvel « Office de l’information et de la communication de l’EERV » jusqu’en 2009.
La paroisse Saint-Guillaume de Strasbourg, à la recherche du mouton à cinq pattes, m’avait contacté : le Conseil cherchait un bon prédicateur, disposant d’une formation artistique par rapport à la vie culturelle intense de Saint-Guillaume, et sachant gérer une structure assez importante et complexe. Après avoir décliné dans un premier temps, j’ai finalement posé candidature et ai été unanimement élu par le Conseil.
Et voilà que déjà dix ans ont passé…
Joan Charras-Sancho : L’Antenne Inclusive est un projet que nous portons, toi, moi et toute une équipe, depuis quelques années déjà. Comment as-tu pu conjuguer paroisse classique et lieu de réflexion sur les questions queer et LGBTI ?
Christophe Kocher : Je crois qu’en paroisse, on peut parler de tout, à condition de rester dans une attitude d’écoute respectueuse de l’autre et de ne pas tomber dans la provoc’ ou dans l’agitation. À partir de la loi sur le mariage pour tous s’est posée la question de l’éventualité d’une bénédiction pour les couples de même sexe civilement mariés. Le débat s’imposait d’une certaine manière. Grâce à un Conseil et des paroissien·ne·s ouvert·e·s d’esprit, nous avons pu profiter de ce débat pour poser une parole claire et audacieuse en faveur d’un accueil inconditionnel en Église, et communiquer dans ce sens dans les médias. Et confrontés à des vents contraires, parfois violents, notre démarche se trouvait confortée et elle s’est renforcée et développée dans des actions concrètes, relayées par les médias.
Au bout de quelques années, le besoin de structurer ces actions et de leur donner un cadre formel s’est fait sentir. Si l’équipe engagée dans l’inclusivité à Saint-Guillaume pensait dans un premier temps créer une association, elle a finalement accepté la proposition du Conseil presbytéral d’être pleinement intégrée aux structures de la paroisse et de devenir une commission du Conseil : l’Antenne inclusive de Saint-Guillaume était née !
Joan Charras-Sancho : Lorsque tu t’es lancé dans l’aventure de l’inclusivité, quelles étaient tes zones d’incompréhension, tes résistances et tes questionnements ? Comment les as-tu dépassés et quelles sont celles qui subsistent ?
Christophe Kocher : En effet, il y en a eu, des zones de résistance et de questionnement… En premier lieu en lien avec ma situation personnelle : comment articuler un engagement public avec un vécu personnel dans un domaine relativement sensible, a fortiori au sein de l’Église ? Comment éviter l’écueil de s’engager – ou de donner l’impression de s’engager – pour justifier sa propre évolution et son propre mode de vie, pour demeurer au service du Christ et de son Église, en fondant son action sur l’Évangile plutôt que sur une tentation d’autojustification ? Cette question m’a beaucoup travaillé et remué sur le plan personnel… et elle reste présente dans le cadre de mon engagement inclusif.
Ensuite, les réalités trans* et intersexe faisaient partie pour moi d’une autre planète et suscitaient pour moi des questions, certes, mais si je suis franc, aussi des appréhensions. Au fil du temps, en rencontrant des personnes trans* et intersexes, en dialoguant avec elles et en vivant des temps de partage, de discussion et de célébration, je peux affirmer que mes appréhensions ont disparu, tout simplement, que je me sens parfaitement à l’aise avec elles… Comme quoi, j’ai évolué, appris et grandi en humanité avec ma paroisse dans le cadre d’un projet pour ainsi dire inédit. Mon regard a bien changé en quelques années, et je considère cette évolution comme une bénédiction !
Joan Charras-Sancho : Dans quelques jours, c’est la rentrée de l’Antenne Inclusive. Peux-tu nous en parler ? Quels sont les défis de cette année ?
Christophe Kocher : Nous reprenons nos rendez-vous devenus traditionnelles qui attirent un public de plus en plus nombreux et qui connaissent un rayonnement croissant : goûter de rentrée avec conférence suivi d’une célébration inclusive, brunch d’hiver avec un temps de formation en lien avec le dialogue interreligieux, Temps fort en février en lien avec la thématique annuelle de la paroisse (cette année : Construire), et brunch du week-end des visibilités, avec une célébration précédant la Pride, une participation à la marche et un accueil des familles dans les locaux paroissiaux.
À ces activités maintenant bien ancrées, s’ajoute la création de « la Chapelle Arc-en-ciel » qui représente un véritable défi pour toute l’équipe de l’Antenne inclusive de Saint-Guillaume.
La Chapelle Arc-en-ciel correspond à un accueil spirituel que nous proposerons dès le mois d’octobre, tous les premiers lundis du mois entre 18h et 21h à la chapelle de Saint-Guillaume dont la restauration touche à sa fin. Il s’agit pour nous d’offrir un lieu conjuguant l’écoute individuelle, la rencontre et la convivialité, la prière et la méditation, ainsi que le témoignage en faisant intervenir des partenaires de l’Antenne tels le Refuge, la communauté juive libérale, les musulmans inclusifs, etc.
Accueillir des personnes rencontrant des problématiques diverses, parfois douloureuses, en lien avec leurs orientations affectives n’est pas simple et nous avons pris la mesure du défi. Aussi sommes-nous entrés dans un processus de formation continue pour les membres de l’Antenne, en partenariat avec SOS-Homophobie, et mettrons-nous en place une supervision pour celles et ceux qui assureront des permanences. Nous sommes aussi en train de réaliser un « annuaire » de liens utiles afin de pouvoir, le cas échéant, orienter des personnes vers d’autres interlocuteurs en fonction de demandes ou de problématiques spécifiques (sur les plans médical, psychologique et juridique notamment).
Je me réjouis de ce développement que connaît notre Antenne, avec une dynamique croissante qui me démontre que nous répondons à un besoin. Je ne peux m’empêcher de citer dans cette perspective un pasteur retraité qui me disait récemment : « tu sais, je n’ai pas d’atome crochu avec le monde LGBT… mais ce que vous faites à Saint-Guillaume est important. Heureusement qu’il existe un lien comme Saint-Guillaume dans notre Eglise, au cœur de Strasbourg ».
JCS : ces derniers temps, les actes antisémites semblent décomplexés en France? En quoi l’inclusivité peut-elle être un levier de lutte contre les discriminations et le dialogue inter religieux ?
En effet, les actes antisémites se multiplient, les replis identitaires s’appuyant sur des identités nationales, culturelles et religieuses ont le vent en poupe. Ils se traduisent concrètement par des attitudes d’exclusion et par de la violence, ce qui m’interpelle au plus haut point ! Bref : « ça pue »…
Dans un tel contexte, notre engagement inclusif et sa communication par le biais des médias représente à mes yeux une voix d’autant plus importante à faire entendre au cœur de notre société, un appel à s’ouvrir à l’autre de manière inconditionnelle et à construire des ponts là où l’on aurait tendance à édifier des murs. Nous avons d’ailleurs dès le début de notre « aventure inclusive » porté le souci de cette ouverture en collaborant avec le judaïsme et l’islam notamment, non seulement dans le cadre de manifestations, mais aussi lors de célébrations… et je dois dire que nous avons vécu des temps de partage et de fraternité d’une grande intensité !
Sans vouloir devenir pompeux, j’aurais presque envie de parler de « kairos prophétiques » : à Saint-Guillaume, une communauté de paroissien·ne·s « ordinaires », des personnes LGBT distancées de l’Eglise mais aussi des catholiques qui la rejoigne, des pasteur·e·s, un évêque gallican, un imam qui psalmodie sur des modes arabisants accompagné au piano par un chantre de synagogue… Quelle émotion, quelle joie de vivre une telle communion dans la prière, au-delà de tout ce qui cherche à diviser !
Notre collaboration avec le rabbin Berkowitch m’a aussi amené à prêcher à la synagogue libérale lors d’un office de sabbat et de partager le repas avec la communauté juive. Quel accueil… et quelle richesse dans les échanges !
Dans cette perspective, nous organisons aussi régulièrement des formations au dialogue interreligieux.
J’espère de tout cœur que les graines de fraternité et d’humanité que nous semons et dont nous témoignons dans nos prises de parole publiques porteront de nombreux fruits… en faveur du vivre ensemble, de la paix !
Je conclurai en rappelant notre devise à Saint-Guillaume : nos différences font notre richesse !