Adrian Stiefel, un pionnier qui œuvre pour l’inclusivité

Adrian Stiefel, un pionnier qui œuvre pour l’inclusivité


Illustration vivante de ce que sont les « Fresh Expressions », Adrian Stiefel est le précurseur d’un ministère pionnier auprès de la communauté LGBTI à Genève. Sans formation théologique spécifique, l’Église Protestante de Genève l’a reconnu en tant que Chargé de ministère. Au sein de l’Antenne LGBTI du LAB qu’il a fondé avec des laïques et des pasteur·e·s de l’Eglise Protestante de Genève, dont Carolina Costa et Vanessa Strub, il y a bientôt trois ans, il accompagne avec ténacité cette communauté de foi où rien n’est tabou mais où tout se vit dans l’écoute, la tolérance et la bienveillance. Plongée dans une dynamique d’église post-moderne !

 

Joan Charras-Sancho : Adrian, parles-nous un peu de toi, de ton parcours spirituel. D’où viens-tu et vers où te diriges-tu ?

Adrian Stiefel : Après avoir grandi dans une ferme au sud du Portugal, à mes quatorze ans ma famille a déménagé à Genève où nous avons rejoint une église évangélique. J’ai alors été interpellé par l’amour et l’accueil qui m’étaient réservés, ainsi que par le message chrétien qui y était enseigné, et je me suis rapidement investi dans l’église avec une conviction rare pour un jeune de mon âge. Ressentant déjà une attirance pour des garçons, je vivais néanmoins une profonde souffrance et solitude intérieures, tentant tant bien que mal de réprimer et de guérir de ce qui était alors considéré comme une « déviance sexuelle ». À mes dix-neuf ans, je suis parti à Londres pour suivre des cours dans une école de chant et théâtre puis une formation biblique au sein d’une église pentecôtiste. J’ai enchaîné par des études de communication et cinéma dans une université chrétienne aux États-Unis. Dans un environnement stricte où la conformité aux règles bibliques était omniprésente mais où je ne ressentais plus la présence de Dieu qui m’avait touché initialement, j’ai vite commencé à dépérir. De plus, je n’étais toujours pas guéri de mon « orientation sexuelle déviante ». J’ai alors vécu une rupture complète avec l’église et ai commencé à assumer ouvertement mon homosexualité. Non pas de manière paisible et réconciliée avec moi-même, mais dans la honte et la culpabilité et en réaction contre ce Dieu que je croyais m’avoir trahi.

Ce n’est que dans la trentaine que l’idée jusqu’alors absurde d’une possible compatibilité entre mon orientation affective et ma foi est devenue tangible. Après plusieurs années de questionnement – aussi marquées par une lutte contre la maladie qui m’a permis de revenir à une réflexion plus fondamentale sur l’essence de mon existence et de ma relation à Dieu –, j’ai peu à peu réussi à déconstruire les « vérités » enseignées, à me libérer de la culpabilité inculquée, à apprendre la tolérance et le non-jugement – vis-à-vis des autres mais avant tout de moi-même. C’est alors que j’ai pris conscience que Dieu m’aimait tel que je suis et qu’il n’avait nulle intention de me changer. Une réconciliation profonde s’est opérée entre mon identité et ma spiritualité. J’ai alors pu commencer à affirmer mon homosexualité en toute liberté, tout en préservant une foi vivante et opérante en moi et autour de moi.

À l’été 2015, j’ai entendu parler du projet pionnier du LAB : un laboratoire pour jeunes adultes en recherche de sens, un lieu où l’on explore de nouvelles manières de vivre sa foi. Ma place au sein de ce projet s’est alors imposée comme une évidence et j’ai proposé d’y intégrer un groupe de partage et de soutien pour la jeune communauté LGBTI. L’Antenne LGBTI a ainsi vu le jour !

J’ai alors senti que j’étais prêt. Prêt à me battre pour que les jeunes LGBTI d’aujourd’hui reçoivent l’écoute et l’acceptation dont j’avais manqué dans ma jeunesse. Prêt à frayer le chemin pour que d’autres jeunes puissent vivre cette même réconciliation entre leur identité et leur spiritualité. Prêt à œuvrer pour une société et une église inclusives qui accueillent, aiment et soutiennent toute personne, quelles que soient son orientation affective, son identité de genre ou ses convictions religieuses. Prêt à lutter pour que les personnes LGBTI aient le droit d’aspirer à une spiritualité et soient reconnues dans leurs propres traditions religieuses. Prêt à être porteur de ce message d’Amour inconditionnel que Jésus nous a enseigné, ce message de tolérance, d’inclusivité et d’accueil radical de l’autre, quel qu’il soit.

 

Joan Charras-Sancho: Pour les non-initiés, des mots comme LAB, Antenne LGBTI, lutte contre les discriminations sont des nouveautés. Comment cela s’articule-t-il avec l’Église protestante de Genève ?

Adrian Stiefel : Le LAB est une communauté de jeunes adultes – ouverte, inclusive et progressiste –, où toute personne est accueillie telle qu’elle est, quelle que soit son origine, ses convictions, ses valeurs, sa croyance ou son athéisme, son genre ou son orientation. On y explore, avec une ouverture et une créativité totales, de nouvelles manières de vivre la spiritualité et la foi, ancrés dans l’enseignement de l’Amour inconditionnel et universel.

Insérée dans le projet du LAB, l’Antenne LGBTI est un groupe de partage pour les jeunes LGBTI en quête de sens, ainsi qu’une antenne d’écoute et de soutien à l’attention de jeunes confrontés à des problèmes de jugement et de condamnation religieuse en raison de leur orientation affective et sexuelle ou identité de genre. L’objectif de l’Antenne est d’offrir aux jeunes d’aujourd’hui un cadre dans lequel ils ou elles peuvent vivre leur spiritualité dans l’acceptation inconditionnelle de leur identité, qu’ils ou qu’elles soient gays, lesbiennes, trans* ou intersexes et quelles que soient leurs convictions spirituelles ou religieuses.

Le LAB et l’Antenne LGBTI sont portés et soutenus par L’Église protestante de Genève.

 

Joan Charras-Sancho : L’objectif de l’Antenne LGBTI est de toucher les jeunes en recherche spirituelle. Y a-t-il un profil-type ? Comment s’organise ton ministère ? Quels sont les défis ?

Adrian Stiefel : Il n’y a pas de profil type, nous accueillons des jeunes de tous horizons. Parmi les participant-e-s réguliers figurent des protestants, des évangéliques, des catholiques, des agnostiques, des athées. Aussi bien des gays, des lesbiennes, des trans* que des hétéros « alliés ».

Je consacre une partie de mon temps de travail à l’organisation des rencontres du groupe de partage lors desquelles nous abordons des thématiques liées à la spiritualité et aux questions LGBTI, ainsi qu’au suivi de la communauté de l’Antenne qui compte actuellement plus de cinquante jeunes. Une hotline permet également à des jeunes d’appeler pour discuter de leur situation personnelle. Je les redirige ensuite vers les personnes compétentes en fonction de leurs besoins spécifiques, qu’il s’agisse d’un accompagnement pastoral, psychologique, socio-éducatif ou légal.

L’autre part de mon ministère est consacrée aux relations avec les secteurs ecclésial, associatif et institutionnel et revêt une dimension de représentation auprès du public et des médias. Plusieurs projets transversaux de sensibilisation et d’accompagnement sont portés par l’Antenne, telles que la mise sur pied de formations de prévention de l’homophobie et de la transphobie en milieu ecclésial, la mise en place de médiations familiales pour des jeunes LGBTI en situation de rejet ou d’exclusion familiale ou encore la création d’un protocole d’accompagnement pour migrants LGBTI en recherche de soutien spirituel.

 

Joan Charras-Sancho: La photo du couple enlacé, dans Réformés, a provoqué un scandale voilà quelques mois. Qu’en as-tu personnellement pensé ?

Adrian Stiefel : Cette photo de deux hommes nus enlacés – l’un blanc, l’autre noir les bras en croix – en couverture du journal des Églises réformées romandes a en effet fait couler beaucoup d’encre. Beaucoup ont crié au blasphème et à la provocation. Pour ma part, j’ai trouvé cette photo belle et touchante, mais je ne suis pas entré dans le débat car je ne jugeais pas utile d’alimenter la polémique. J’ai simplement reposté la photo sur Facebook en affirmant « mon soutien à la rédaction de Réformés, ainsi qu’à celles et ceux qui œuvrent pour une église inclusive et décomplexée et un accueil inconditionnel de l’autre, quel qu’il soit ». Une dame évangélique m’a répondu en disant à quelle point cette image l’avait choquée. J’ai alors tenté d’établir un dialogue avec elle en l’amenant à déconstruire son émotion. Je lui ai demandé ce qui la dérangeait, elle a répondu : « La croix ». Je l’ai alors encouragée à se poser la question suivante : « Pourquoi cela vous dérange-t-il qu’un symbole christique apparaisse sur cette photo ? Est-ce le lien entre la nudité et la position en croix, est-ce le fait que l’homme qui adopte cette position soit noir de peau, est-ce le rapprochement physique entre les deux hommes ? »

Nous avons toutes et tous le droit d’avoir un avis et d’être choqués, j’encourage même fortement la divergence d’opinion ! Mais j’aimerais pousser les gens à aller plus loin dans leur démarche et à comprendre ce qui génère réellement les émotions qui les habitent. Cela afin de leur permettre d’identifier ce qu’elles ou ils croient et de ne pas se limiter à suivre une opinion collective suscitée par une doctrine ou une collectivité.

 

Joan Charras-Sancho: La rentrée 2018-2019 est la troisième du LAB. Quels sont tes ambitions pour l’Antenne LGBTI ?

Adrian Stiefel : Pour sa troisième année d’existence, j’ai à cœur de renforcer le noyau de l’Antenne en formant et responsabilisant les jeunes du comité, cela afin qu’ils puissent avoir les outils nécessaires pour porter eux-mêmes et elles-mêmes « leur » Antenne. Si je fais bien mon travail, un jour viendra où on n’aura plus besoin de moi et où je pourrai alors partir vers d’autres cieux, porter de nouvelles visions et concrétiser d’autres projets.

Je tiens également à consolider les relations externes en favorisant la mise sur pied de projets transversaux et collaboratifs entre les secteurs ecclésial, institutionnel et associatif LGBTI.

Finalement, j’aimerais affermir le dialogue et les synergies au sein de l’Église protestante afin que les besoins de la communauté LGBTI ne soient pas seulement pris en compte dans le cadre du LAB et de son public « jeunesse », mais également dans les paroisses et autres entités de l’Église.

 

Joan Charras-Sancho: Pour terminer, peux-tu nous dire quels sont tes espoirs pour nos Églises et pour la communauté LGBTI ?

Adrian Stiefel : Lors d’un workshop sur les questions LGBTI et la spiritualité que j’animais avec des écoliers de 12 à 14 ans, un jeune m’a demandé : « Pourquoi se compliquer la vie avec ces initiales compliquées LGBT…I…Q. Moi je propose de remplacer toutes ces lettres par le H d’Humain. »

L’accueil et l’intégration de la communauté LGBTI au sein de milieux religieux, qui se sont trop souvent portés coupables de discrimination et de jugement envers cette communauté, passent par la reconnaissance des erreurs passées, par l’apprentissage de l’autre et de sa différence et par un positionnement actif en tant « qu’allié-e-s ».

Mais fondamentalement, ce message d’inclusivité et d’accueil inconditionnel que je cherche à transmettre est beaucoup plus universel et ne concerne pas seulement la communauté LGBTI. Ce message tend vers une acceptation totale et non-discriminante de l’autre, quel qu’il soit. Cela, au-delà de l’orientation, de l’identité, de la sexualité, des convictions religieuses ou spirituelles, de la couleur de peau ou de tout autre catégorisation sociale.

Apprenons à nous aimer, nous respecter et nous soutenir les uns les autres, cela sans essayer de changer l’autre, de penser que nous savons mieux ou de lui imposer notre vérité. Ne cessons jamais de douter et de nous remettre en question. Avançons ensemble vers une société, une église et une communauté LGBTI inclusives, tolérantes et qui aiment et accueillent l’autre inconditionnellement. Et peut-être alors qu’un jour on remplacera le sigle LGBTI et ceux de toutes les autres minorités encore discriminées par le H d’Humain.

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